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Me Julie Couture, avocate, Couture Avocats, Mirabel - St-Jérôme - Septembre 2020
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La vague de dénonciations publiques sur internet qui a déferlé sur les médias sociaux au Québec dans les derniers mois a soulevé l’indignation de plusieurs. Soutien aux victimes, droit à l'image des accusés ; que l'on soit d'un côté ou de l'autre du débat, le sujet n'a laissé personne indifférent. Beaucoup d’encre a coulé depuis. Mais qu’en est-il réellement, dans les faits ?
De nombreuses personnes sont venues nous voir au cabinet, en panique, après avoir vu leur nom apparaître sur une liste qui circulait sur les médias sociaux. Cette liste prétend dénoncer des gens qui ont commis une ou des agressions sexuelles ou encore du harcèlement sexuel. Les noms qui figurent sur cette liste sont affichés publiquement, parfois accompagnés de témoignages et peuvent être vus par tous. Ces personnes ont peur de voir leur vie s’effondrer, de perdre leur emploi ou leur famille. Elles vivent dans la crainte que leur réputation soit anéantie sans pouvoir se défendre.
Pour une personne qui n'est pas connue du public et qui vit dans l'anonymat, ce genre de situation est un choc, évidemment. Des accusations criminelles vont-elles suivre? Quelles seront les conséquences sur mon emploi? Et surtout, est-ce que j’ai des recours ? Qu'est-ce que je peux faire pour me défendre? Pour ces gens, qui nient catégoriquement les actions qui leur sont reprochées, ces dénonciations publiques constituent une grande injustice. C’est leur image qui est atteinte.
D'un point de vue juridique, le droit à l’image est une composante du droit à la vie privée codifié aux articles 35 et 36 du Code civil du Québec :
Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
Que fait-on des droits de ces personnes dont le nom se trouve sali publiquement? Elles sont, après tout, innocentes jusqu’à preuve du contraire. C'est le principe de base de notre système de justice : la présomption d'innocence. Il importe également de se rappeler que la justice est publique. Quiconque peut assister à un procès, sauf quelques rares exceptions. Une personne accusée, dont le monde s’effondre également, ne devrait-elle pas pouvoir être entendue elle aussi? Dans notre système de justice, elle a le droit de s’expliquer et de présenter sa version des événements, pour que le tout soit tranché par une personne neutre, soit le juge.
L'effet malheureux des dénonciations publiques sur internet est de salir considérablement l'image de l'accusé ou de la victime, avant même que quiconque ne soit déclaré coupable de quoi que ce soit. Lorsque le procès a lieu sur les médias sociaux, c'est le public qui s'improvise juge. Il anéantit, par le fait même, des réputations, des carrières et des familles. Le public est souvent bien plus sévère qu'un juge n'aurait pu l'être, et le chaos engendré est souvent bien plus lourd qu'une sentence.
Le principe de dénonciation versus le droit à l'image
Ceci dit, il est important que les victimes puissent dénoncer leurs agresseurs et les actes qu'elles ont subi. Le principe de dénonciation est bien servi par ces dénonciations publiques. Mais, en plus du droit à l'image des supposés accusés, plusieurs autres aspects ne sont pas considérés lorsque les dénonciations sont faites sur la place publique plutôt qu'en passant par notre système de justice.
Par exemple, que fait-on de la réinsertion sociale de ces individus? Une déclaration de culpabilité est généralement associée à une peine. Ceci permet à l'accusé de redevenir un actif pour la société et de le dissuader de commettre à nouveau le même geste. Ayant traversé tout le processus judiciaire et reçu un verdict de la part du juge, il a plus de chances de comprendre la portée de son crime et de se réhabiliter avec sa sentence.
Force est de reconnaître que la justice publique sert bien mal cette réinsertion, en créant de la colère chez la personne accusée, selon elle injustement, sans possibilité de se défendre. Nous avons vu bien des réactions enflammées de personnalités connues à la suite d'accusations qui ternissaient leur image, réactions qui ne leur ont pas valu le soutien du public. Finalement, lorsque le procès a lieu sur le web, dans la majorité des cas personne n'en sort gagnant. Bref, le processus judiciarisé demeure préférable. Toutefois, celui-ci présente des défaillances, surtout quant aux délais. C'est pourquoi nous devons continuer d'y travailler sérieusement.
Pour les célébrités, cette atteinte à leur réputation a encore plus de répercussions. On n'a qu'à songer à Maripier Morin ou Éric Salvail. Ces personnalités qui avaient carrière fulgurante ont perdu leurs émissions, leurs partenariats et l'amour du public en un clin c'œil. Ils ne peuvent pas bénéficier de l'anonymat. Ils demeureront reconnaissables et les gens se souviendront de la manière dont leur carrière s'est abruptement terminée.
Ceci dit, M. Salvail continue de nier les événements et il est passé par le processus judiciaire. Son procès se poursuivra le 9 novembre prochain. S’il est reconnu innocent, il retrouvera peut-être une portion de sa réputation ou de sa carrière télévisuelle. Au moins, il peut se défendre devant le tribunal.
Mme Morin a reconnu les gestes qui lui ont été reprochés et a été condamnée par le public. Elle a perdu sa carrière pour des gestes qui pourraient être interprétés comme des voies de fait (une morsure) plutôt qu'une agression sexuelle, dans le contexte des événements. Évidemment, tout est une question d'interprétation et de perception, ce qui rend la situation complexe.
Sur les médias sociaux, le débat a fait rage, certains croyant qu’il fallait punir sévèrement pour montrer l’exemple. D’autres déplorent qu’une personnalité publique telle que Maripier Morin, très présente dans l’univers télévisuel québécois, soit jugée aussi sévèrement des suites d'un seul acte. Parce qu’il faut bien l’admettre, si l'accusée avait été une pure inconnue, ces événements n’auraient eu aucune conséquence pour elle. Si la personne qu’elle a mordue avait porté plainte à la police, elle s’en serait tirée avec une sentence très clémente. Malheureusement pour elle, Mme Morin est une vedette au Québec. Son procès a eu lieu sur Instagram, devant le tribunal populaire. Elle n’a pas de casier judiciaire, mais sa carrière est terminée.
Que fait-on, quand on nous accuse publiquement injustement? Qu’on subit des conséquences de ces accusations? Quand notre droit à l'image n'a pas été respecté?
Ces personnes devront, elles aussi, se tourner vers le système judiciaire. Convaincues de leur innocence, elles peuvent décider de poursuivre la personne qui les accuse injustement. Elles devront néanmoins démontrer le préjudice causé par ces accusations et en faire la preuve. En d’autres mots, elles devront faire la preuve de ce qu’elles avancent, contrairement à une dénonciation publique sur internet. C'est un peu paradoxal, vous ne trouvez pas?
En tous les cas, je demeure d'avis qu'il vaut mieux vaut passer par le système de justice pour dénoncer une agression ou un crime. Sachant que notre système de justice est en constante évolution, surtout depuis la pandémie de Covid-19, espérons qu'il saura s'adapter. Il doit évoluer pour mieux soutenir les victimes d'agressions sexuelles et réduire les interminables délais qui découragent de trop nombreuses personnes de porter plainte officiellement.
Sachez que des démarches doivent théoriquement être complétées avant de pouvoir faire une dénonciation publique. Pour bénéficier de la protection contre les représailles, une personne doit avoir respecté les deux conditions suivantes :
ET
Notez également que l’article 298(1) du Code criminel prévoit également que :
Un libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée;
La personne qui publie un tel libelle diffamatoire s’expose donc à une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison, et de 5 ans si la personne sait que ce libelle est faux.
Me Julie Couture est en pratique privée et membre du Barreau depuis 2003. Elle a fondé son cabinet Couture Avocats et pratique exclusivement en droit criminel et pénal. Vous pouvez consulter son blogue juridique en ligne.