Nathalie Normandeau et l'arrêt des procédures
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Me Julie Couture, avocate, Couture Avocats, Mirabel - St-Jérôme - Octobre 2020
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Palais de justice de Québec, où Nathalie Normandeau a été libérée de tous les chefs d'accusation qui pesaient contre elle, le 25 septembre 2020.
Le dossier de Nathalie Normandeau a fait couler beaucoup d’encre dans les dernières semaines. Il s'est écoulé 52 mois entre sa mise en accusation et la tenue d'un procès, ce qui est largement au-delà du plafond maximal de 18 mois. Le juge André Perreault de la Cour du Québec a donc dû se prononcer quant à la requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables présentée par la défense.
Cette requête émane de l’arrêt Jordan, rendu en 2016 par la Cour suprême du Canada. Ce nom est désormais bien connu dans le monde juridique de même que dans les médias. Tentant de remédier à une situation qui ne pouvait plus durer, la Cour a identifié des plafonds en termes de temps pour traiter d'une affaire au criminel. Ainsi, il est désormais impossible que les délais s'échelonnent sur plusieurs années, entre l'accusation d'un individu et la tenue de son procès.
La Cour a donc tranché en 2016. Le plafond sera de 18 mois en matière sommaire et de 30 mois en matière criminelle. En rendant ce jugement, la Cour souhaitait que les causes soient jugées avec plus de célérité. On souhaitait également que tous les acteurs du système judiciaire mettent la main à la pâte vers ce but commun.
Dans le cas de Nathalie Normandeau, le juge a déterminé que le plafond applicable était de 18 mois. Ce qui est intéressant dans ce dossier, c’est que le juge en a décidé ainsi parce qu’il n’y avait pas eu d’enquête préliminaire, la poursuite ayant déposé un acte privilégié.
Le processus de preuve de l’ancienne vice première ministre et de ses co-accusés a été long. L’enquête de l’UPAQ a été sévèrement critiquée par le juge, la qualifiant de « bidon ». Des chefs d’accusation ont également été abandonnés en cours de route. Finalement, le juge a conclu à la violation du droit des accusés d’être jugés dans un délai raisonnable. Il a donc rendu le seul verdict apte à remédier à cette violation : l’arrêt des procédures.
Si le juge donne raison à Mme Normandeau et à ses coaccusés, il pointe néanmoins du doigt les policiers pour expliquer certains délais associés à la divulgation de la preuve. Il évoque des inconduites de la part de ceux-ci dans son jugement.
« Le Tribunal conclut que la saga judiciaire entourant les appels interlocutoires prend sa source dans les fuites [...] Le DPCP a bien tenté d’atténuer, mais il a dû se contenter d’être à la remorque des inconduites policières dans le dossier des requérants. »
Extrait du jugement de l'Honorable Juge André Perreault
Or, les accusés ne doivent pas payer le prix pour les erreurs des policiers. Par conséquent, Nathalie Normandeau et ses coaccusés ne subiront pas leur procès. Ils avaient été arrêtés il y a plus de quatre ans pour fraude, corruption et abus de confiance. Dans les faits, cela ne signifie pas qu’ils soient acquittés. C’est plutôt une compensation pour un atteinte à leur droit d’être jugés dans un délai raisonnable.
La principale intéressée n’est toutefois pas entièrement satisfaite de l’issue de l’affaire. Selon elle, sa réputation s’en trouve gravement entachée. Sa famille et elle ont beaucoup souffert tout au long du processus judiciaire. Le juge l'a également souligné dans son jugement :
« Les conséquences du jugement du public pèsent souvent plus lourd chez les personnes poursuivies que les décisions judiciaires rendues, qu’elles soient favorables ou non à ces personnes.»
Extrait du jugement de l'Honorable Juge André Perreault
Nathalie Normandeau s’est exprimée dans les médias quant à ce verdict. Elle a déploré le fait que son procès n’ait pas eu lieu dans un délai raisonnable. Elle aurait souhaité le subir et bénéficier d’un acquittement qui soit plus légitime aux yeux du public. Le juge Perreault a rappelé à la population qu’avec la fin des procédures, les accusés doivent être considérés comme innocents. Mais dans la réalité de tous les jours et aux yeux des québécois et québécoises, la perception demeure différente.
L’ancienne vice première ministre n’aura pas l’occasion d’expliquer et défendre sa version des faits. Dans l’esprit de plusieurs, elle demeurera donc possiblement coupable. Aucun juge ne se prononcera sur la question. Mme Normandeau, quant à elle, maintient son innocence. La justice parallèle fait son œuvre. Les opinions du public demeurent un élément sur lequel le Tribunal ne peut trancher.
On pourrait dire que oui, l’arrêt des procédures lui a rendu justice. En réparant le préjudice des délais qu’elle a subi, elle a obtenu une certaine forme de réparation. Elle devra dorénavant se défendre sur la place publique. Nous verrons si le temps arrange réellement les choses, à ce niveau.
Au début de la pandémie, vous en avez sans doute été témoins : des milliers de dossiers ont été reportés à cause de la fermeture temporaire des tribunaux. Un système déjà aux prises avec des problèmes de délais s'est retrouvé plus engorgé que jamais. Bien que les délais continuent de s'allonger, le droit de tous et chacun d'être jugé dans un délai raisonnable doit demeurer.
Qui sera tributaire de ces délais ? Est-ce que l’état les assumera ou ils seront considérés comme une circonstance exceptionnelle ? Les avis divergent et les tribunaux seront certainement amenés à se prononcer sur la question. Quoi qu’il en soit, justice mérite toujours d’être rendue, tôt ou tard.
Me Julie Couture est en pratique privée et membre du Barreau depuis 2003. Elle a fondé son cabinet Couture Avocats et pratique exclusivement en droit criminel et pénal. Vous pouvez consulter son blogue juridique en ligne.