Texte mis jour par: Me Camille Ingarao de Miller Thomson, Montréal.
L’expropriation constitue l’atteinte la plus radicale au droit de propriété. Elle prive le propriétaire de tous les attributs de ce droit : usage du bien, perception de ses fruits et droit d’en disposer à son gré.
L’expropriation est un pouvoir d’exception, permettant à des corps publics de s’approprier un immeuble ou un démembrement du droit de propriété sur un immeuble, pour des fins d’utilité publique, en contrepartie du versement d’une indemnité juste et préalable. L’article 952 du Code civil du Québec codifie ce principe :
En vigueur depuis le 29 décembre 2023, la Loi concernant l’expropriation(1) LCE) remplace la Loi sur l’expropriation(2) (LSE) et le régime d’expropriation, en place au Québec depuis 1973. De plus, le régime applicable en matière d’expropriation déguisée a également été modifié à la fin de l’année 2023 avec l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives(3) (LLFM). La LSE et la LLFM marquent un changement de paradigme important en matière d’expropriation et de droit immobilier au Québec.
Notons que si l’expropriation découle du Gouvernement du Canada, il faut référer à la Loi sur l’expropriation canadienne.(4)
L’État est le corps expropriant par excellence : le Gouvernement du Canada et le Gouvernement du Québec ont tous deux le pouvoir d’exproprier, soit directement, ou en déléguant le pouvoir à des personnes sous sa compétence, par l’entremise de lois générales ou spéciales. En plus du Gouvernement (et ses ministères), les municipalités, les commissions scolaires et certains organismes, tels Hydro-Québec et les sociétés de transports sont des exemples de personnes détenant le pouvoir d’exproprier.
Au Québec, le Gouvernement peut contrôler les motifs d’intérêt général lors d’une expropriation exercée suite à la délégation de son pouvoir, par un arrêté en conseil énonçant les motifs justifiant l’expropriation. Par contre, les municipalités, communautés urbaines et régies intermunicipales et commissions scolaires exercent leur pouvoir d’expropriation de manière autonome, sans être soumises au contrôle du Gouvernement.
De manière générale, l’expropriation porte sur le droit de propriété d’un immeuble (bâtiment, terrain, lot) ou un démembrement du droit de propriété qui s’y rattache, telle une servitude (passage, construction, égout, aqueduc, etc.).
En principe, l’expropriation pourra, de manière accessoire, viser des biens « meubles », mais ceux-ci devront être intimement liés à l’immeuble visé par l’expropriation, sauf dans les cas où la loi habilitante prévoit expressément la possibilité d’exproprier des biens meubles en particulier.
À titre d’exemple, la Loi sur les cités et villes,(5) le Code municipal du Québec,(6) la Loi sur la Commission de la capitale nationale(7) et la Loi sur les évêques catholiques romains(8) sont des lois où les biens meubles jugés utiles ou nécessaires à la réalisation des fins, missions et objets propres à l’expropriante, peuvent faire l’objet d’une expropriation. La Loi sur les infrastructures publiques(9) est un exemple où il est prévu que la Société québécoise des infrastructures pourra exproprier les biens de « toute nature » utiles à la mission et mandat de la Société, qu’ils soient immeubles ou meubles.
Afin d’exproprier un droit, l’expropriant doit obtenir les décisions ou les autorisations requises en vertu des dispositions qui l'habilitent. Il peut alors adopter une résolution, un décret ou un règlement pour procéder à l’expropriation.
Pour l’expropriation d’un immeuble, l’expropriant doit déposer auprès du Tribunal un extrait du cadastre du Québec indiquant l’immeuble exproprié ou, lorsqu’il s’agit d’une partie d’immeuble, d’un plan accompagné d’une description technique de la partie d’immeuble à exproprier. Par la suite, l’expropriant doit signifier un avis d’expropriation au propriétaire, qu’il devra ensuite publier au registre foncier du Québec, avec les documents au soutien, dans les 30 jours de la signification.
L’avis d’expropriation doit notamment comporter les éléments suivants :
La date de signification de l’avis d’expropriation représente la date d'expropriation et la date d'évaluation. La date d'expropriation servira de point de départ aux différentes échéances de la procédure d'expropriation, y compris le délai de contestation du droit d'exproprier et de l'avis d'expropriation.
Si des locataires ou occupants de bonne foi sont également présents sur l’immeuble exproprié, l’expropriant devra leur donner un avis.
Un exproprié qui reçoit un avis d’expropriation doit tout d’abord informer l’expropriant de la présence de locataires ou occupants sur les lieux expropriés, ainsi que les conditions de leur occupation (baux, ententes, etc.), ceci dans les 30 jours suivants la date de l’expropriation. À défaut de le faire, l’exproprié pourra être tenu responsable des dommages subis par les locataires et/ou occupants.
L’exproprié devra comparaître devant le Tribunal dans les 2 mois de la date d’expropriation et devra également déposer une déclaration détaillée dans les 4 mois suivants la date d’expropriation. La déclaration détaillée de l’exproprié répond à la déclaration détaillée initiale de l'expropriant, en ventilant les différents postes réclamés à titre d’indemnité pour l’expropriation.
De plus, si l’exproprié exploite une entreprise sur l’immeuble exproprié, il est important qu’il le notifie à l’expropriant.
Une fois l'avis d'expropriation signifié, si l'exproprié souhaite céder à un tiers un droit sur tout ou partie de l'immeuble exproprié, il devra informer le futur titulaire du droit de l'existence de la procédure d'expropriation.
Un avis de réserve pour fins publiques est le pouvoir d’un corps expropriant de « réserver » un immeuble avant de l’exproprier. En d’autres mots, il s’agit d’un mécanisme permettant à l’expropriant de figer, à la date de l’imposition de la réserve pour fins publiques, un immeuble qu’il entend exproprier plus tard.
La durée d’un avis de réserve est de 4 ans. Un avis de réserve ne peut pas être imposé lorsque l’immeuble a fait l’objet d’une réserve dans les deux années précédentes.
L’imposition d’un avis de réserve « interdit, pendant sa durée, toute construction, amélioration et addition sur l’immeuble qui en fait l’objet, à l’exception des réparations nécessaires. »(10)Ainsi, lors de l’établissement de l’indemnité dans le cadre de l’instance en expropriation, la valeur d’un droit ayant fait l’objet d’un avis de réserve ne peut tenir compte des constructions, des améliorations ou des additions faites après la date d’imposition de la réserve, sauf celles qui constituent des réparations nécessaires et celles qui ont été autorisées pour permettre la continuation des activités sur l’immeuble exproprié.
L’imposition de l’avis de réserve se réalise par la signification de l’avis de réserve au propriétaire de l’immeuble et par son inscription au registre foncier du Québec. Le propriétaire devra alors informer celui qui impose l’avis de réserve de la présence de locataires ou occupants sur les lieux expropriés, ainsi que les conditions de leur occupation (baux, ententes, etc.), ceci dans les 30 jours suivants la signification de l’avis d’imposition de réserve. À défaut de le faire, le propriétaire pourra être tenu responsable des dommages subis par les locataires et/ou occupants.
Celui qui impose une réserve sur un immeuble peut changer les fins de celles-ci, sous réserve que cette nouvelle fin fasse l’objet des décisions ou autorisations requises, et que soit notifié et inscrite un avis de changement au registre foncier.
Une réserve peut prendre fin selon différentes façons :
L’imposition d’une réserve pourra donner ouverture au versement d’une indemnité au propriétaire, suivant le préjudice réellement subi et directement relié à l’imposition de la réserve. Cette indemnité sera établie par le Tribunal, suivant les principes de fixation de l’indemnité d’expropriation.
Lorsque le droit sur l’immeuble réservé fera l’objet d’une expropriation avant la fin de la réserve, une demande en fixation d’indemnité devra être déposée dans les 6 mois suivants la date d’expropriation par le propriétaire, le locataire ou l’occupant de bonne foi ayant subi un préjudice en lien avec l’imposition de l’avis de réserve. Lorsque le droit sur l’immeuble réservé ne fera pas l’objet d’une expropriation avant la fin de la réserve, la demande en fixation d’indemnité devra alors être déposée dans les 6 mois suivant la date de l’expiration de la réserve ou de la date de la signification de la déclaration d’abandon de la réserve.
Enfin, toute réserve imposée avant le 29 décembre 2023, soit l’entrée en vigueur de la LCE, demeure valide et régie sous l’ancienne loi, alors que la procédure d’expropriation pouvant suivre cette réserve sera régie par la LCE.
Un propriétaire a le droit d’obtenir une indemnité juste et préalable lors de l’expropriation. Une telle indemnité sera fixée par le Tribunal, qui a compétence en vertu de la Loi sur l’expropriation, s’il n’y a pas entente entre l’expropriant et l’exproprié. Cette valeur est souvent, et de préférence, présentée par un évaluateur agréé, agissant à titre d’expert devant le Tribunal.
L’indemnité d’expropriation compte deux composantes :
Sous le régime de la LES (l’ancienne loi), l’indemnité immobilière relative au bien exproprié était établie selon la « valeur au propriétaire », un concept fondamental reconnu au Québec depuis des décennies selon lequel le bien était évalué en recherchant sa valeur subjective pour l’exproprié et non pas uniquement sa valeur marchande objective.
Les nouvelles dispositions de la LCE écartent le concept de la valeur au propriétaire dans la détermination de l’indemnité immobilière d’expropriation au Québec, en basant désormais celle-ci uniquement sur la valeur marchande du bien exproprié. L’indemnité immobilière due au propriétaire dépossédé est ainsi réduite.
L’objectif de l’indemnité provisionnelle est de permettre à l’exproprié de poursuivre ses activités sans perturbations graves, et en ce sens, limiter les inconvénients et dommages de l’expropriation. Dans le cadre d’une fermeture d’entreprise, l’indemnité provisionnelle permet plutôt à l’exproprié de payer les dépenses liées à la fermeture de l’entreprise.
La déclaration détaillée initiale de l’expropriant, laquelle accompagne l’avis d’expropriation, offre à l’exproprié 100 % de la valeur marchande du droit exproprié à titre d’indemnité provisionnelle. Pour le locataire ou l’occupant de bonne foi, cette indemnité est de trois mois de loyer lorsque sa résidence fait partie de l’immeuble exproprié.
L’expropriant peut déterminer une indemnité provisionnelle supplémentaire suite à la réception de la déclaration détaillée de l’exproprié et/ou du locataire ou de l’occupant de bonne foi et des documents et informations au soutien. L’exproprié peut également s’adresser au Tribunal pour obtenir une indemnité provisionnelle complémentaire lorsque l’indemnité provisionnelle initiale ou supplémentaire est insuffisante pour que l’exproprié puisse poursuivre ses activités jusqu’au paiement de l’indemnité définitive sans que celles-ci soient mises en péril.
La LCE pr voit que de nouvelles r gles peuvent s appliquer lorsque l indemnit offerte ou r clam e est de 500 000$ ou plus, notamment quant la tenue des interrogatoires pr alables et l obligation d une personne morale de se faire repr senter par avocat sous r serve de quelques exceptions. De plus, lorsque l indemnit offerte ou r clam e est de 750 000$ ou plus, l expropri devra faire approuver son budget de d penses, incluant les expertises, par le corps expropriant. d faut d entente sur le budget, le Tribunal tranchera le d saccord.
Anciennement connu comme la prise de possession par le corps expropriant du droit exproprié, la libération des lieux est prévue dans l’avis d’expropriation et représente la date à laquelle l'immeuble exproprié doit être libéré et, généralement, la date à laquelle le corps expropriant devient le nouveau titulaire du droit sur l'immeuble exproprié.
La libération des lieux ne peut être s’opérer avant :
L’expropriant peut toutefois modifier cette date; pour être devancée, le consentement écrit de l’exproprié et/ou le locataire et l’occupant de bonne foi doit être obtenu.
Des dommages peuvent être réclamés par l’exproprié et/ou le locataire et l’occupant de bonne foi lorsque :
L’exproprié et/ou le locataire et l’occupant de bonne foi peuvent demander au Tribunal à demeurer en possession de l’immeuble exproprié, pour une période ne pouvant excéder six mois de la date de libération, lorsqu’il existe des motifs graves et que cela ne cause pas un préjudice sérieux au corps expropriant.
Contestation de l'expropriation
Dans les 30 jours suivant la date de l'expropriation, l'expropri peut contester le droit de l'expropriant d'exproprier et demander l'annulation de l'avis d'expropriation en d posant une requ te devant la Cour sup rieure. L'expropri doit d montrer l'une des situations suivantes dans laquelle l'expropriant
pLorsqu'il est fait droit à la demande de l'exproprié contestant le droit d'exproprier et demandant l'annulation de l'avis d'expropriation, l'exproprié peut saisir le Tribunal d'une demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la procédure d'expropriation.
La contestation du droit d'exproprier ne suspend pas la proc dure d'expropriation, sauf si l'expropri en fait la demande devant la Cour sup rieure. L'expropri qui demande la suspension de la proc dure doit d montrer les crit res suivants, qui sont les m mes que ceux de l'injonction interlocutoire(11) :
En cas de décision favorable, la procédure d'expropriation restera suspendue jusqu'à ce que la Cour supérieure rende une décision sur le droit d'exproprier et l'avis d'expropriation.
Lorsqu une expropriation est effectu e en dehors du cadre législatif, afin notamment d'éviter le paiement d une indemnité , il s agit d une expropriation déguisée(12) . L’expropriation déguisée constitue un abus de pouvoir et permet au propriétaire lésé de s’adresser aux tribunaux pour déclarer le geste abusif nul ou inopposable à son égard et/ou réclamer le paiement d’une indemnité.
L’adoption de la LLFM le 8 décembre 2023 introduit de nouvelles dispositions dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme(13) (la « LAU ») permettant notamment à un organisme public de déposséder un propriétaire privé de son bien immobilier, sans devoir le compenser, dans la mesure où cette dépossession est considérée comme justifiée au sens de la LAU.
Une atteinte au droit de propriété est réputée justifiée aux fins de la LAU lorsqu’elle résulte d’un acte qui respecte l’une ou l’autre des conditions suivantes :
Ainsi, un propriétaire privé peut dorénavant se voir dépossédé de son bien, sans compensation, pour l’une de ces trois raisons. D’ailleurs, ce nouveau cadre juridique est d’application immédiate, même dans le cadre de recours ayant été intenté avant l’adoption de la LLFM.
L’expropriation, en plus d’être un évènement qui peut s’avérer éprouvant pour l’exproprié, qui se voit forcé de se départir de sa propriété, est un processus complexe à bien des égards, tant au niveau des droits et obligations des parties, que dans la détermination de la valeur du bien exproprié et de l’indemnité totale à verser. De plus, les nouvelles dispositions législatives marquent un changement de paradigme important en matière d’expropriation et de droit immobilier au Québec. Il est donc recommandé de consulter des professionnels spécialisés en la matière, tels avocats et évaluateurs agréés, qui sauront guider les parties dans les négociations et les représentations devant le Tribunal, afin de déterminer la juste indemnité.
(1) RLRQ c. E-25
(2) RLRQ c. E-24
(3) Projet de loi numéro 39 Sanctionn le 8 décembre 2023 (Recueil annuel des lois sanctionnées, chapitre 33).
(4) L.R.C. (1985), ch. E-21
(5) RLRQ c. C-19
(6) RLRQ c. C-27.1
(7) RLRQ c. c-33.1.
(8) RLRQ c. E-17.
(9) RLRQ c. I-8.3.
(10) Article 145 de la LCE.
(11) Société immobilière 2081-2083 Marie-Victorin inc. c. Ville de Varennes, 2024 QCCS 3969, par. 14 & 15; Pelletier c. Ville d'Alma, 2024 QCCS 3377, par. 9 & 10; 9379-1242 Québec inc. c. Ville de Sept-Îles, 2024 QCCS 3611, par. 13.
(12) Lorraine (Ville) c. 2646‑8926 Québec inc., 2018 CSC 35, par. 2.
(13) RLRQ c. a-19.1.
Dernière mise à jour au 5 février 2025
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