Le Réseau juridique du Québec : Causes pour lesquelles un héritier ne peut hériter

Quelles sont les causes pour lesquelles un héritier ne peut hériter ?


Par Me Sebastian Fernandez, du cabinet Deveau Avocats, Laval


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Introduction

Au Québec comme dans d’autres juridictions, un héritier peut être sanctionné d’’indignité, c’est-à-dire être écarté de la succession à laquelle il devait normalement être appelé, que ce soit par l’effet de la loi ou par testament, et ce pour certains motifs graves en lien avec le défunt.

En droit civil québécois, les causes d’indignité successorale sont prévues aux articles 620 et 621 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), et consacrent l’exclusion d’un héritier de la succession, qu’il soit question d’une succession testamentaire ou légale. Le C.c.Q. opère d’ailleurs une distinction entre les causes d’indignité dites de plein droit et celles dites sur déclaration, où un tribunal saisi d’une demande de déclaration d’indignité peut déclarer indigne une personne de succéder, sans que cette personne ne le soit toutefois d’office.

Dans le cadre du présent texte, nous procéderons à une analyse sommaire des paramètres des différentes causes d’indignité en droit civil québécois.

Les causes d'indignité de plein droit

Premièrement, l’article 620 C.c.Q. prévoit qu’est de plein droit indigne de succéder: 

    1. Celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt; ou
    2. Celui qui est déchu de l’autorité parentale sur son enfant, avec dispense pour celui-ci de l’obligation alimentaire, à l’égard de la succession de cet enfant.

    Celui qui est déclaré coupable d'avoir attenté à la vie du défunt

    Afin de satisfaire à cette cause d’indignité en pratique, il suffit généralement de déposer une copie du jugement de culpabilité de l’héritier dont l’indignité est recherchée. Plus particulièrement, cet héritier doit avoir été reconnu coupable d’une infraction impliquant une intentionnalité d’attenté à la vie du défunt, incluant la tentative et meurtre, le meurtre, la complicité pour meurtre existant avant la perpétration de l’infraction et l’homicide involontaire, sous réserve, dans ce dernier cas, de la possibilité de démontrer une intention d’attenter à la vie du défunt, quoique, suivant un certain courant doctrinal et jurisprudentiel en semblable matière, la démonstration de l’intentionnalité ne soit pas toujours impérative. Incidemment, un héritier commettant un acte par lequel il attente à la vie du défunt, sans nécessairement être animé de l’intention de ce faire, pourrait être déclaré indigne de succéder.

    Cela dit, il est néanmoins généralement admis qu’une personne déclarée non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux ne saurait être reconnue indigne de succéder de plein droit, à moins qu’elle n’ait fait une déclaration de culpabilité.

    Celui qui est déchu de l'autorité parentale sur son enfant, avec dispense pour celui-ci de l'obligation alimentaire, à l'égard de la succession de cet enfant

    En pratique, afin de satisfaire à cette cause d’indignité et que celle-ci soit opérée de plein droit, il suffit de déposer le jugement déclarant la déchéance du parent dont l’indignité est recherchée. Ainsi, la rencontre de cette cause d’indignité sous-tend l’existence d’un jugement déclarant la déchéance de l’autorité parentale à l’égard de ce parent, avec dispense pour l’enfant, qui doit avoir précédé son parent déchu qui lui aurait été appelé à succéder, d’être tenu à l’obligation alimentaire.

Les causes d'indignité sur déclaration

Deuxièmement, l’article 621 C.c.Q. ajoute que peut être déclaré indigne de succéder :

    1. Celui qui a exercé des sévices sur le défunt ou a eu autrement envers lui un comportement hautement répréhensible;
    2. Celui qui a recelé, altéré ou détruit de mauvaise foi le testament du défunt; ou
    3. Celui qui a gêné le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament.

    Celui qui a exercé des sévices sur le défunt ou a eu autrement envers lui un comportement hautement répréhensible

    Bien que le C.c.Q. n’offre aucune définition de la notion de « comportement hautement répréhensible », elle est généralement interprétée largement, de manière à inclure les gestes malveillants posés à l’égard d’un héritier, sans que ces gestes n’aient nécessairement à être constitutifs d’infractions pénales.

    Par ailleurs, la perpétration du « comportement hautement répréhensible » en lui-même suffit pour représenter une cause d’indignité sur déclaration, donc généralement sans égard à l’intention de la personne ayant eu ce comportement. Cela dit, un certain courant jurisprudentiel et doctrinal considère néanmoins que l’intention de l’auteur d’un tel comportement se doit d’être considérée comme un facteur subjectif par le tribunal, au même titre que des facteurs objectifs tels que la gravité du comportement, dans le cadre de son analyse du bien-fondé d’une déclaration d’indignité.

    Celui qui a recelé, altéré ou détruit de mauvaise foi le testament du défunt

    En ce qui concerne spécifiquement l’altération du testament du défunt, elle ne saurait être mineure, devant impliquer une modification substantielle visant à le fausser dans l’optique de porter préjudice à autrui.

    Quant au recel, il implique qu’il doive viser le testament du défunt précisément, et non un simple bien de la succession par exemple, et peut notamment s’observer à travers la dissimulation illégale d’un testament du défunt, ou encore par la confection d’un faux testament, notamment dans l’objectif d’accaparation d’une plus grande proportion, voire de l’entièreté de la succession du défunt, et ce contrairement à la volonté de ce dernier.

    Celui qui a gêné le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament

    Généralement, la gêne d’un testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament implique l’usage de manœuvres dolosives, tels que la profération de menaces à l’égard du testateur ou encore l’emploi d’une pression indue à son endroit, sans toutefois que l’atteinte des résultats escomptés par l’emploi de ces manœuvres ne soit déterminant dans le cadre de l’analyse du bien-fondé d’une déclaration d’indignité. Autrement dit, une tentative infructueuse de la part d’un successible de gêner le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament pourrait être constitutive d’une cause d’indignité sur déclaration.

L'article 622 C.c.Q., une échappatoire à l'indignité successorale

Cela dit, il importe de préciser que l’article 622 C.c.Q. prévoit qu’un héritier n’est pas indigne de succéder, et ne peut être déclaré tel, si le défunt, connaissant la cause d’indignité, l’a néanmoins avantagé ou n’a pas modifié la libéralité, alors qu’il aurait pu le faire. Ainsi, et comme l’exprimait l’honorable Claudine Roy, J.C.S., dans l’affaire Gatti c. Barbosa Rodrigues, 2011 QCCS 6734, le C.c.Q. conçoit l’indignité comme « une peine privée qui peut être pardonnée » par le défunt.

Quant l’impact de la capacité ou de l’habileté d’un défunt d’accorder un pardon conforme aux exigences de l’article 622 C.c.Q. au moment où il aurait pu le faire, le fait qu’il était en pleine possession de ses aptitudes intellectuelles et conscient au moment des faits allégués et, dans une plus large mesure, jusqu’au moment de sa mort, s’avère déterminant dans le cadre de l’applicabilité de l’exemption d’indignité consacrée par l’article 622 C.c.Q.

Les titulaires potentiels d’une demande de déclaration d’indignité d’un héritier et le délai pour adresser une telle demande

Finalement, il convient de souligner que tout successible ou toute personne qui aurait la vocation d’héritier si la déclaration d’indignité était prononcée peut, dans l’année qui suit l’ouverture de la succession ou la connaissance d’une cause d’indignité, demander au tribunal de déclarer l’indignité d’un héritier lorsque celui-ci n’est pas indigne de plein droit, et ce conformément à l’article 623 C.c.Q.

Bien que la détermination du point de départ de ce délai d’un (1) an constitue une question de fait, tributaire d’une analyse des circonstances propres à chaque situation, il est néanmoins admis que le moment qui correspondra à ce point de départ sera non pas le moment où un successible aura de simples soupçons en lien avec le comportement justifiant une demande en déclaration d’indignité, mais bien le moment où il sera en mesure de connaître ce comportement sur la base d’éléments de preuve tangibles.

Enfin, précisons que ce délai de 1 an se qualifie non pas de délai de prescription, mais plutôt de délai de déchéance, ce qui implique notamment qu’il ne peut être suspendu, ni interrompu.


Date de mise à jour : 24 avril 2020


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