Par Me Isabelle Duclos, avocate et Madame Emma Sirois du cabinet Cain Lamarre
L'arbitrage en milieu syndiqué
Traditionnellement, l’arbitrage s’est développé comme une voie alternative de règlement des différends fondée sur la volonté des parties afin de pallier les coûts et les délais qu’entrainait la judiciarisation devant les Tribunaux de droit commun. Ce mode privé de résolution repose sur des principes fondamentaux, tels que la confidentialité, la célérité et l’expertise des arbitres.
Plus précisément, l’arbitrage consiste à confier à un arbitre la mission de trancher un différend conformément aux règles de droit. La décision d’un arbitre est finale et sans appel, sous réserve que les règles de droit (révision judiciaire) et les principes d’ordre public soient respectés.
Aujourd’hui, l’arbitrage occupe une place centrale dans plusieurs domaines du droit et secteur, tels que :
Toutefois, il sera question, dans cet article, de l’arbitrage dans le domaine des relations du travail. Nous examinerons notamment ses particularités en fonction du contexte.
L'arbitrage en milieu syndiqué
Tout d’abord, il est important de rappeler qu’un milieu syndiqué se caractérise par un environnement de travail dans lequel les employés sont représentés par un syndicat accrédité, agissant dans le cadre de relations de travail encadrées, a priori, par une convention collective. En cas de différend entre le syndicat et l’employeur sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective, le Code du travail(1) prévoit un mécanisme de règlement spécifique communément appelé « l’arbitrage de grief ».
Il est également possible d’avoir recours à l’arbitrage pour régler d’autres types de différends, notamment d’ordre médical, lorsque la convention contient une disposition prévoyant expressément que ce type de conflit sera soumis à un médecin expert agissant à titre arbitre.
L’arbitrage de grief se distingue du concept d’arbitrage de différend prévu au Code du travail. En effet, l’arbitrage de grief permet de régler toute mésentente relative à l’interprétation ou l’application d’une convention collective en vigueur, tandis que l’arbitrage de différend est plutôt prévu lorsque les parties ne sont pas en mesure de convenir d’un règlement pour l’adoption d’une convention collective.
En ce qui concerne l’arbitrage de grief, le Code du travail et la convention fixent les règles. En effet, l’article 100 du Code du travail prévoit que tout grief doit être soumis à l’arbitrage, selon les modalités établies dans la convention collective, pour autant que celle-ci en contienne une disposition à cet effet et que les parties y donnent suite. Le Code fixe donc les règles minimales encadrant l’introduction et le déroulement du recours, les parties peuvent y font des ajustements et précisions par convention.
La convention collective fixe généralement les délais pour déposer un grief, mais ceux-ci ne peuvent être inférieurs à 15 jours (art. 100.0.1 C.t.). En l’absence de dispositions, le délai maximal pour présenter un grief est de 6 mois, à compter du jour où la cause du grief est produite (art. 71 C.t.).
Quant au choix de l’arbitre, il peut être prévu dans la convention, décidé d’un commun accord entre les parties, ou confié au ministre en cas de désaccord (art. 77 et 100 C.t.). Peu importe le mode de nomination, les frais sont partagés également entre les parties, sauf entente contraire dans la convention (art. 19 Règlement sur la rémunération des arbitres(2) ).
Une fois nommé, l’arbitre dirige la procédure : il convoque les parties à une audience, entend les témoins, prend connaissance des représentations et tranche le litige dans le respect des règles de justice naturelle et dans les meilleurs délais (art. 100.2 et 100.6 C.t.). À titre d’exemple, dans le cas d’une mesure disciplinaire traditionnelle et sous réserve des exceptions entourant ses pouvoirs, il peut notamment confirmer, modifier ou annuler une sanction disciplinaire, imposer une nouvelle mesure, si la convention ne prévoit pas de sanction précise pour la faute reprochée, ou ordonner le paiement de sommes avec intérêts (art. 100.12 C.t.).
Sauf disposition contraire dans la convention collective, l’arbitre doit rendre sa décision dans les 90 jours suivant la fin des audiences. Ce délai peut toutefois être prolongé avec l’accord des parties (art. 101.5 C.t.).
Il s’agit d’une décision sans appel qui lie les parties (art. 101 C.t.), sous réserve des recours civils extraordinaires, comme le pourvoi en contrôle judiciaire.
Si le grief est généralement associé à un recours formulé par le syndicat pour le compte d’un salarié, l’employeur peut lui aussi déposer un grief. On parle alors de grief patronal, procédure qui est sensiblement la même.
Le grief patronal permet à l’employeur de faire valoir ses droits lorsque le syndicat outrepasse les siens. Il sert notamment de recours à l’employeur et permet de demander à un syndicat, de se conformer à une obligation conventionnelle, par exemple en cas de dommages lors d’arrêt de travail ou de moyens de pression jugés illégaux(3) (sous réserve des pouvoirs réservés au Tribunal administratif du travail). Il sert à régler des litiges d’ordre financier, notamment pour récupérer des sommes versées en trop à des salariés ou au syndicat, conformément à l’article 100.12 b) et d) du C.t ou à la convention collective. Il offre aussi un recours en dommages-intérêts lorsque l’employeur est victime d’abus de procédure de la part du syndicat(4). Enfin, ce mécanisme peut également être utilisé pour clarifier l’interprétation d’une clause considérée comme ambiguë ou pour contester l’application erronée de dispositions conventionnelles.
Bien que les procédures du grief patronal soient similaires à celle du grief syndical, il se distingue par sa dynamique particulière entre les parties (employeur/syndicat). En effet, il peut parfois être perçu comme une réponse défensive de la part du syndicat. Dans ce contexte, il est donc prudent pour l’employeur de mettre l’accent sur sa démarche, laquelle repose sur une violation réelle, et non sur une tentative de riposte à une action syndicale.
Certaines conventions collectives prévoient un mécanisme distinct pour régler les conflits liés à l’état de santé d’un salarié, soit, celui de l’arbitrage médical. Les parties peuvent, par l’entremise d’une clause compromissoire insérée à la convention collective s’engager de manière obligatoire et définitive à soumettre leurs litiges futurs à un médecin-arbitre.
La convention collective pourra à titre d’exemple, prévoir une liste de professionnelles pouvant être saisie comme médecin-arbitre ou tout simplement prévoir un délai (ex. 30 jours) permettant aux parties de retenir un professionnel et de le nominer comme médecin-arbitre pouvant entendre le litige.
L’arbitrage médical s’inscrit dans une logique de règlement efficace des différends, notamment lorsqu’une des parties conteste la capacité médicale du salarié. Ce recours permet donc en somme de trancher les désaccords opposant différentes opinions médicales, dans un cadre balisé.
Dans le cadre de son mandat, le médecin-arbitre rend une décision finale et exécutoire sur la question médicale soumise, laquelle est sans appel, sous réserve des cas d’exceptions prévus(5).
Le pendant de l'arbitrage en milieu non syndiqué
En droit du travail, un milieu « non-syndiqué » se réfère à un environnement dans lequel les salariés, y compris les cadres, ne sont pas représentés par une association accréditée. En effet, les relations de travail sont principalement régies par des contrats individuels, par des lois et règlements spécifique(6).
Dans certains secteurs non syndiqués, des mécanismes ont été développés afin d’encadrer et offrir une voie alternative de règlement des différends fondée sur le principe de la volonté des parties de pallier les coûts et les délais qu’entraine la judiciarisation.
À l’article 620 du C.p.c., plus particulièrement utilisé dans le domaine commercial, on y prévoit que les parties peuvent convenir de soumettre à l’arbitrage tout différend né ou à naître. Dans ce contexte, toutes questions au sujet desquelles les parties au contrat ont conclu une convention d’arbitrage ne peuvent être portées devant un tribunal de l’ordre judiciaire, alors même qu’il serait compétent pour décider de l’objet du litige (art. 622 du C.p.c.). La sentence arbitrale rendue lie alors les parties, comme le précise l’article 642 du C.p.c., et ne peut être contestée que par des recours limités, tels que la demande d’annulation.
L’arbitrage en milieu non syndiqué s’inspire de ce qui précède en ce qu’il exige une volonté claire et préalable des parties. Pour les employeurs, cela implique une analyse préalable des avantages et inconvénient de créer un tel mécanisme, mais également une vigilance accrue lors de la rédaction des contrats, des conventions collectives, des ententes ou des règlements, afin de déterminer les paramètres et limites, voire, si un tel mécanisme est souhaité dans ce cas précis.
Au Québec, plusieurs secteurs, voire entité, ont des règlements ou des conventions prévoyant des règles particulières. Dans ce contexte, l’objectif de cette section est donc de cibler et de donner un aperçu sommaire de ces recours disponibles, mais souvent méconnus par ceux qui ne baignent pas au quotidien dans cette réalité.
Les cadres oeuvrant dans le secteur public
Le premier cas est celui des cadres ouvrant dans le secteur public. En effet, des mécanismes spécifiques sont expressément prévus pour les cadres œuvrant dans le secteur public. Plus précisément, ceux-ci sont déterminés en fonction d’un cadre législatif et des ententes sectorielles.
Dans le secteur de la santé et des services sociaux, les règles sont notamment établies par le Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux(7), adopté en vertu de l’article 487.2 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux(8).
Plus précisément, ce règlement s’applique aux cadres œuvrant dans les établissements publics et dans certains établissements privés visés à l’article 475 de la LSSSS, ainsi qu’aux cadres des agences régionales (art. 1). Le règlement définit le terme de « cadre » comme une personne assumant des responsabilités hiérarchiques, fonctionnelles ou de conseil en matière de planification, d’organisation, de direction, de coordination et de contrôle, et occupant un poste à temps complet ou partiel (art. 3).
Selon ce règlement, il y a une procédure de prévue et un mécanisme bien précis à suivre autant encours d’emploi que pour la fin de l’emploi. Essentiellement et à titre d’exemple, le cadre visé par ce règlement peut, lorsqu’il a terminé sa période de probation(9), contester certaines décisions de l’employeur, telles que le congédiement, la non-reconduction de son engagement, la résiliation de son contrat, une suspension sans solde ou une rétrogradation, en déposant une plainte écrite. Cette plainte peut viser soit le non-respect des dispositions réglementaires (articles 129 à 129.5), soit le bien-fondé de la décision elle-même. Suivant un certain cheminement, un arbitre est finalement désigné, soit au choix des parties ou par le ministre de la Santé selon la procédure prévue à l’article 130.2 du règlement. Ultimement, la sentence arbitrale est finale, exécutoire et sans appel (article 130.4).
Secteur scolaire, collégial et universitaire
Des mécanismes semblables sont également prévus par règlement ou convention, et ce, en fonction du statut et du domaine. C’est le cas notamment dans le domaine de l’éducation. En effet, au niveau scolaire, collégial et universitaire, il faut s’assurer de consulter les règles particulières applicables avant de loger un recours.
À titre d’exemple, en cas de litige relatif à la fin d’emploi d’un Cadre, le Règlement déterminant certaines conditions de travail des cadres des collèges d’enseignement général et professionnel(10) confie cette situation particulière à un comité. Plus précisément, on y prévoit qu’en cas de rupture du lien d’emploi, de rétrogradation ou de mesure disciplinaire, le cadre peut déposer une plainte devant un comité d’appel. Ce comité, prévu à l’article 239, détient une juridiction finale et exécutoire pour trancher ces différends. Il exerce des pouvoirs étendus, incluant notamment la possibilité d’ordonner la réintégration du cadre dans ses fonctions (art. 240).
Dans le domaine universitaire, une décision récente rappel justement l’importance de la qualification des recours et de bien connaître les différents mécanismes en fonction des règles applicables. En effet, si les faits générateurs du recours intenté par le professeur sont liés à l’application d’une convention et qu’on y prévoit un mécanisme ou recours précis, il faudra suivre cette procédure, à défaut, le demandeur pourra faire face à un moyen déclinatoire visant la compétence et donc la mauvaise instance choisie(11).
La Loi sur la fonction publique(12) prévoit que tout fonctionnaire non régi par une convention collective peut appeler une décision rendue à son égard en vertu de l’article 33 de cette loi. Dans ce contexte, le fonctionnaire visé peut contester notamment sa rétrogradation, son congédiement et une mesure disciplinaire. À ce moment, le recours du fonctionnaire est formé par la transmission d’un avis écrit à la Commission de la fonction publique. Il s’agit d’un mécanisme par lequel la Commission peut maintenir, modifier ou annuler la décision portée en appel (art. 34).
Les sociétés d'État et les organismes publics
Certaines règles particulières sont également prévues dans d’autres secteurs.À titre d’exemples, Hydro-Québec, la SAQ ou les sociétés de transport, ainsi que d’autres organismes publics disposent de règlements internes encadrant les conditions de travail de leurs cadres non syndiqués. Ces règlements prévoient généralement des mécanismes en cas de sanction disciplinaire ou de cessation d’emploi, permettant au cadre de contester une décision jugée injustifiée.
En somme, il convient de souligner que chaque société d’État ou organisme dispose de son propre cadre normatif, ce qui entraîne une variabilité des procédures d’un organisme à l’autre. Certains règlements prévoient explicitement le recours à un arbitre externe, tandis que d’autres confient cette fonction à un comité interne ou à une instance administrative désignée.
En conclusions, cet article fait un tour d’horizon sommaire en ce qui concerne la notion d’arbitrage dans différents secteurs. Pour les employeurs, cet article permet de bien comprendre les différents mécanismes, dont celui de l’arbitrage, applicables selon le contexte syndiqué ou non syndiqué ou le secteur.
Nous soulignons l’importance pour les professionnels saisis d’un cas dans ces secteurs de se référer aux dispositions applicables, car il peut s’avérer fatal de choisir le mauvais recours. Il peut également exister des raisons stratégiques de choisir un recours plutôt qu’un autre, d’où l’importance de bien maîtrise les mécanismes.
Loin d’être un simple recours, l’arbitrage peut devenir un levier stratégique, à condition d’être bien maîtrisé et encadré, autant dans la rédaction des conventions collectives ou des contrats de travail. En milieu syndiqué, cela implique une lecture rigoureuse des clauses et une collaboration proactive avec les représentants syndicaux. En milieu non syndiqué, notamment pour les cadres, il est recommandé de bien maîtriser les fins détails, dont les différents règlements qui sont propres à chaque secteur.
Notes:
(1) Code du travail, RLRQ c C-27 (ci-après « C.t. »).
(3)Syndicat des pompiers et pompières du Québec (Section locale Saguenay – SCFP 7171) c. Saguenay (Ville), 2023 CanLII 51430 (QC SAT); Corporation d’urgences-santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du Préhospitalier-CSN, 2022 QCCA 97 (CanLII).
(4) Syndicat des professeures(eurs) de l'UQAM c. Université du Québec à Montréal, 2021 CanLII 46976 (QC SAT); Régie intermunicipale de police Richelieu Saint-Laurent c. Fraternité des policiers et policières Richelieu Saint-Laurent, 2021 CanLII 53793 (QC SAT).
(5) Notamment la demande d’annulation prévue à l’article 648 du Code de procédure civile RLRQ c C-25.01 (ci-après « C.p.c. »). Cette demande doit être présentée dans les trois mois suivant la réception de la sentence et être exercée dans les cas d’ouverture prévus à l’article 646 du C.p.c.
(6) Comme la Loi sur les normes du travail RLRQ c N-1.1 (ci-après « L.n.t. »).
(8) RLRQ, c. S-4.2 (ci-après « LSSSS »).
(9) Ou qu’il est en congé parental ou en invalidité
(11) Lacasse c. Université du Québec à Rimouski, 2025 QCCA 1012
À jour au 27 novembre 2025
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