Le Réseau juridique du Québec : Le choix de la juridiction compétente d'un contrat de travail en droit international

La juridiction compétente

Choisir la juridiction compétente et le droit applicable à un contrat de travail à la lumière des règles de droit international privé applicables : comment s'y retrouver ?


Par Me Sebastian Fernandez, du cabinet Bélanger Longtin, Montréal


Contenu



Introduction

Tout contrat de travail est susceptible de contenir diverses clauses, incluant une clause d’élection de for, soit une clause au moyen de laquelle les parties à un contrat s’entendent pour soumettre leurs différends nés ou éventuels aux autorités d’une juridiction donnée. 

Incidemment, plutôt que d’être entendus par un tribunal québécois, les parties pourraient décider qu’un éventuel litige les opposant en lien avec le contrat de travail soit entendu par un tribunal ontarien, par exemple. Quoiqu’en principe, il soit loisible aux parties de valablement soumettre tout litige né ou à naître entre elles à une autorité étrangère au moyen d’une telle clause plutôt qu’aux autorités québécoises, le législateur québécois a prévu certaines exceptions à ce principe afin de maintenir la compétence des autorités québécoises dans certaines situations précises, et ce malgré toute convention à l’effet contraire. Il en est notamment ainsi lorsqu’il s’agit d’un contrat d’assurance, de consommation ou de travail.

Il en va de même du choix par les parties à un contrat de travail de la loi applicable à ce contrat au moyen d’une clause précisant que la loi d’une juridiction étrangère plutôt que la loi québécoise s’appliquera au contrat, le législateur québécois ayant prévu certaines limites à la libre volonté des parties en cette matière, comme nous le verrons plus amplement ci-après.

Dans le cadre du présent texte, nous examinerons les circonstances pouvant influer sur la validité d’une clause d’élection de for dans un contrat de travail de même que les paramètres de l’applicabilité du droit québécois à un tel contrat.

La compétence des autorités québécoises pour connaître d'une action fondée sur un contrat de travail

En droit québécois, l’article 3149 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que les autorités québécoises ont compétence pour connaître d’une action fondée sur un contrat de travail si le travailleur a son domicile ou sa résidence au Québec. Cette disposition précise également que la renonciation d’un travailleur à la compétence des autorités québécoises ne peut lui être opposée.

L’article 3149 C.c.Q. doit se lire en conjonction avec l’article 43 du Code de procédure civile (« C.p.c. »), qui est au même effet, en prévoyant que lorsqu’une demande porte sur un contrat de travail, la juridiction compétente est celle du domicile ou de la résidence du salarié, qu’il agisse en demande ou en défense, de même que l’inopposabilité de toute convention contraire au salarié.

Ainsi, tel qu’il appert des libellés de ces dispositions, les clauses d’élections de for contenues dans un contrat de travail sont nulles lorsque certaines conditions sont rencontrées.

Le travailleur doit avoir son domicile ou sa résidence au Québec

Conformément aux articles 3149 C.c.Q. et 43 C.p.c., l’applicabilité des clauses d’élection de for dans un contrat de travail et, parallèlement, la compétence des autorités québécoises nonobstant toute convention contraire ou renonciation à ces autorités, est conditionnelle à ce que le travailleur ait son domicile ou sa résidence au Québec.

Le C.c.Q. opère une distinction entre les notions de « résidence » et de « domicile ». La résidence d’une personne correspond au le lieu où elle demeure habituellement, alors que son domicile est, en cas de pluralité de résidences, celle qui constitue son principal établissement. Dans le cas d’une personne morale spécifiquement, le domicile correspond à son siège social. Ainsi, si une personne peut avoir plusieurs résidences, elle ne peut avoir qu’un seul domicile.

À cet égard, il importe de préciser que la Cour d’appel du Québec a déterminé qu’un travailleur étranger venu travailler au Québec pour la durée d’un contrat de travail, donc devenu résidant québécois pour les fins de son emploi, peut bénéficier des articles 3149 C.c.Q. et 43 C.p.c. lorsqu’il y avait sa résidence au moment où il a fourni sa prestation de travail en sol québécois et lorsque l’employeur a apparemment porté atteinte à ses droits, de sorte que dans ces circonstances, les autorités québécoises ont compétence en cas d’action fondée sur le contrat de travail.

Enfin, malgré le caractère impératif des articles 3149 C.c.Q. et 43 C.p.c. et l’inopposabilité de toute renonciation du travailleur à leur applicabilité, il demeure que le travailleur lui-même peut requérir que son action soit entendue ailleurs qu’au Québec : tel fut notamment le cas dans l’affaire Hétu c. SNC-Lavalin PAE inc., 2007 QCCQ 5780, par exemple où la Cour du Québec fit droit à une telle demande et déclina sa compétence en faveur des tribunaux ontariens.

L'incompétence des autorités québécoises au profit d'autorités d'une juridiction étrangère n'entraîne pas l'applicabilité du droit de cette juridiction

Enfin, il importe de préciser que le simple fait que les autorités d’une juridiction étrangère soient saisies d’un litige entre un employeur et un travailleur n’entraîne pas nécessairement l’application du droit de cette juridiction étrangère au contrat de travail. En effet, les questions de la détermination de la compétence des autorités étrangères relativement à une action fondée sur un contrat de travail et de la détermination du droit applicable à un tel contrat doivent être envisagées et traitées distinctement.

À ce sujet, l’article 3118 C.c.Q., disposition adoptée dans la perspective de protéger les travailleurs et inspirée de l’article 6 de la Convention de Rome de 1980, prévoit que le choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de l’État où il accomplit habituellement son travail, même s’il est affecté à titre temporaire dans un autre État ou, s’il n’accomplit pas habituellement son travail dans un même État, de la loi de l’État où son employeur a son domicile ou son établissement.  

Ainsi, à titre d’exemple, si les parties à un contrat de travail décident que la loi applicable au contrat de travail est celle de l’Ontario plutôt que celle du Québec, le travailleur peut tout de même bénéficier des dispositions dites impératives de la loi du Québec, s’il y accomplit habituellement son travail.

Qui plus est, en l’absence de désignation par les parties, la loi de l’État où le travailleur accomplit habituellement son travail ou la loi de l’État où son employeur a son domicile ou son établissement sont, dans les mêmes circonstances, applicables au contrat de travail.

Par conséquent, la possibilité pour les parties à un contrat de travail de choisir librement la loi applicable à ce contrat se trouve grandement limitée par l’article 3118 C.c.Q. : en effet, même si elles conviennent dans leur contrat que la loi applicable à celui-ci sera celle d’un État où le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail, les dispositions impératives ou d’ordre public du lieu où il l’accomplit habituellement seront néanmoins applicables. En droit québécois du travail, le paysage législatif regorge de telles dispositions, notamment dans la Loi sur les normes du travail et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cela dit, dans l’éventualité où il devait résulter d’une analyse de l’ensemble des circonstances qu’un contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, donc une autre juridiction, que la province de Québec, un tribunal pourrait néanmoins, exceptionnellement, décider que la loi de cette juridiction étrangère est applicable, conformément à l’article 3082 C.c.Q.


Date de mise à jour : 16 avril 2020


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