Me Lucie Boiteau, avocate, Alepin Gauthier, Laval.
Les intérêts légitimes de l'employeur
Le fardeau de la preuve à l'employeur
Modification des clauses de non-concurrence par les tribunaux
Ne pas confondre avec les clauses de non-sollicitation de clientèle
Les clauses de non-concurrence dans les contrats d'emploi sont de plus en plus fréquentes, mais est-ce légal ? Et si oui, à quelles conditions ?
Une clause de non-concurrence dans un contrat d'emploi est une disposition par laquelle un employé s'engage pendant la durée de son emploi et pour une certaine période suivant la fin de son emploi, à ne pas travailler pour une entreprise concurrente de son employeur et/ou à ne pas s'engager dans l'exploitation d'une entreprise concurrente, personnellement ou par personne interposée, et ce dans un territoire déterminé.
Pour être reconnue valide, une clause de non-concurrence doit répondre à certaines conditions cumulatives prévues par le Code civil du Québec. Ainsi, elle doit être:
Ainsi, par exemple, l’absence de toute limitation territoriale dans une clause de non concurrence sera fatale quant à sa validité. C’est ainsi qu’en a décidé l’honorable juge Nicole Tremblay dans la décision Aon Parizeau Inc. c. Lemieux et als le 15 juin 2016. (2016 QCCS 3098) Sur ce point la Cour d’appel a confirmé la décision de la juge Tremblay (2018 QCCA 1346). Il est donc essentiel en tout temps que la clause de non-concurrence contienne à sa face même, d’abord et avant toute autre analyse, les limitations ci-dessus énumérées quant à la durée, le territoire et la nature du travail visé. De plus la clause de non-concurrence ne doit pas être ambiguë.
Les intérêts légitimes de l'employeur
Le caractère raisonnable des limites sera évalué en fonction de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur. On retrouvera des clauses de non-concurrence surtout dans les secteurs de la vente, dans le domaine commercial ou industriel, ou encore dans le secteur des services dans le domaine privé, ainsi que dans les rangs hiérarchiques supérieurs d'entreprises. L'employeur aura intérêt, dans ces situations, par exemple, à protéger son achalandage et à s'assurer que sa clientèle, ayant pu développer avec son employé des liens particuliers, ne suivra pas ce dernier chez un concurrent et que son employé ne pourra profiter d’un avantage concurrentiel indu en raison des informations qu’il pourrait détenir de son ancien employeur.
Le territoire visé par la limitation pourra être jugé normalement raisonnable s’il correspond au territoire dans lequel l’employeur poursuit habituellement ses activités, mais attention, cela n’est pas une règle automatique. Il sera bien difficile, voire impossible pour un employeur, de justifier une étendue territoriale de non concurrence où il n’a aucune activité. À l’inverse un employeur pourrait avoir des activités à travers le Canada, et voir sa clause de non concurrence visant le territoire du Canada être déclarée déraisonnable par un tribunal. En effet le tribunal évaluera le caractère raisonnable du territoire visé en fonction de la situation de l’employé concerné.
Le fardeau de la preuve à l'employeur
Un employeur qui s'adressera aux tribunaux pour faire respecter une clause de non-concurrence devra démontrer que la clause qu'il invoque est valide selon les critères énoncés précédemment et qu’elle vise à protéger ses intérêts légitimes Voir à cet effet la décision rendue par la Cour Supérieure dans Groupe PPD Inc. c. Valois (2019 QCCS 421).
Si un tribunal n'est pas convaincu par l’employeur, selon la balance des probabilités, de la validité de la clause en question, il pourra purement et simplement l'annuler, ce qui aura comme conséquence de remettre les parties en état comme si cette clause n'avait jamais existé.
Ainsi, les clauses ambiguës, qui ne sont pas rédigées en des termes clairs et précis, ou qui laissent planer un doute quant à l’étendue des engagements de l’employé sont interprétées en faveur de l’employé par les tribunaux et ont plus de risques d’être jugées invalides
Il est à noter également que dans l'évaluation de la raisonnabilité de la clause de non-concurrence et par conséquent de sa validité, le tribunal prendra notamment en considération les éléments suivants:
Précisons que le Code civil du Québec prévoit à l'article 2095 que «l'employeur ne pourra se prévaloir d'une stipulation de non-concurrence, s'il a résilié le contrat sans motif sérieux ou s'il a lui-même donné au salarié un tel motif de résiliation». Cela signifie que si l’employeur congédie son employé sans cause juste et suffisante ou que l’employé, par exemple, est victime d’un congédiement déguisé ou encore victime de harcèlement qui l’amène à démissionner, l’employeur ne peut se prévaloir de la clause de non-concurrence.
La reconnaissance par le salarié du caractère raisonnable de la clause de non-concurrence dans le contrat, ne lie pas les tribunaux. Par conséquent, et même si l’employé dans le contrat de travail a reconnu que la clause de non-concurrence ne l’empêchait pas, par exemple, de gagner raisonnablement sa vie, le tribunal peut passer outre cette reconnaissance et refuser à l’employeur l’application d’une clause de non-concurrence déraisonnable. La Cour d’appel du Québec réitérait ce principe reconnu par les tribunaux dans l’affaire Pitl c. Grégoire, jugement rendu le 8 novembre 2018 (2018 QCCA 1879).
Modification des clauses de non-concurrence par les tribunaux
Il arrive de rencontrer dans certains contrats de travail une disposition par laquelle les parties consentent à permettre à un tribunal qui conclurait au caractère déraisonnable d'un ou de plusieurs éléments de la clause en litige, d'en diminuer la portée à l'égard des éléments déraisonnables, et ce afin d'éviter son annulation. Il faut souligner que les tribunaux ont été divisés quant à la validité d'une telle disposition et, en conséquence, qu’ils ont parfois accepté, d'autres fois refusé d'ajuster la clause de non-concurrence pour la rendre raisonnable et, par conséquent, valide.
Toutefois, depuis le prononcé de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., (2009) CSC 6, le 23 janvier 2009, il semble que cette incertitude soit désormais chose du passé. En effet la Cour suprême, dans cette affaire, a refusé de réécrire une clause de non-concurrence ambiguë, en précisant qu’il n’appartenait pas aux tribunaux de modifier une telle clause pour la rendre valide. La Cour a conclu que permettre aux tribunaux d’intervenir et de réécrire ce genre de clause « inciterait l’employeur à imposer une clause restrictive déraisonnable à l’employé. » La Cour écrit ceci :
« Les employeurs ne doivent pas être incités à rédiger des clauses restrictives d’une portée démesurée en s’attendant à ce que les tribunaux en retranchent les éléments déraisonnables ou en donnent une interprétation atténuée selon ce qu’ils jugent raisonnable. Cela modifierait les risques assumés par les parties et accroîtrait indûment le risque que l’employé soit contraint de consentir à une clause déraisonnable. »
Cette décision de la Cour suprême du Canada vient confirmer les décisions suivantes rendues par les tribunaux du Québec.
Ainsi dans l'affaire Restaurant chez Doc Inc. c. 9061-7481 Québec Inc. 2006 QCCA 55 (CanLII) la Cour d’appel du Québec a conclu que "un juge n'est pas autorisé à modifier une clause de non-concurrence, par exemple en diminuant sa durée ou en restreignant le territoire visé pour la rendre raisonnable.
Également dans l'affaire Pauzé c. Descôteaux (CA), EYB 1986, le juge Kaufman écrivait ceci :
"It would in my opinion be pessimi exempli if, when an employer had exacted a covenant deliberately framed unreasonably wide terms, the Courts were to come to his assistance and, by applying their ingenuity and knowledge of the law, carve out of this void covenant the maximum of what he might validly have required…"
Les employeurs qui tentent de contourner l’impossibilité de demander au tribunal de modifier leur clause de non-concurrence en créant une clause « par paliers » se sont également vu refuser leur demande. Par exemple, dans l’affaire Drouin c. Surplec Inc. (CA), [2004] RJQ 1125, une clause de non-concurrence dans un contrat de travail était rédigée de façon à ce que si une limite territoriale donnée était jugée invalide par les tribunaux, la limite deviendrait alors moindre. Si la limite moindre était jugée invalide, une nouvelle limite encore plus restreinte serait applicable et ainsi de suite, de même que pour la limite temporelle. La Cour d’appel a tranché qu’une telle clause était invalide puisqu’elle impose des conditions indéterminées à l’employé.
Également le tribunal, dans l’affaire Aon Parizeau Inc. ci-dessus mentionnée, a conclu qu’en présence de 2 clauses de non concurrence dans un même contrat prévoyant des limitations ou conditions différentes entre elles, il n’avait pas à choisir entre les 2 clauses et l’employeur ne pouvait non plus choisir l’une des deux. En conséquence, les engagements de non-concurrence étaient ambigus et nuls.
Ne pas confondre avec les clauses de non-sollicitation de clientèle
À noter que la Cour suprême du Canada dans l’affaire Payette c. Guay (2013 3 RCS 95) a confirmé que les engagements de non sollicitation de clientèle ne sont pas assujettis aux mêmes critères de validité que les clauses de non-concurrence. Par exemple une clause de non-sollicitation de clientèle n’aura pas à être limitée à un territoire. Il sera donc important de bien distinguer la nature des clauses analysée dans un contrat d’emploi et notamment de déterminer si un engagement en est un de non concurrence ou de non sollicitation. Un contrat d’emploi pourra contenir ces 2 types de clauses par ailleurs.
Les clauses de non-concurrence et le télétravail
Le 15 octobre 2021 la Cour supérieure du Québec a rendu une décision dans Équipement d’essais Aérospatial C.E.L. Ltée c. Eddy Errai (2021 QCCS 5678) qui impliquait un salarié couvert par une clause de non-concurrence et qui faisait du télétravail. Puisqu’il s’agit d’une décision préliminaire rendue dans le cadre d’une ordonnance d’injonction interlocutoire et non d’un jugement final, il faudra voir ce que le tribunal décidera éventuellement sur le fond de l’affaire. Dans ce litige l’employé visé par la demande d’injonction avait signé un engagement de non-concurrence prévoyant qu’il ne pouvait travailler pour un concurrent dans un rayon de soixante (60) kilomètres de la place d’affaires de son employeur, après la fin de son emploi et ce, pour une durée d’un an. Le nouvel employeur de monsieur Errai étant situé à Ottawa, il se trouvait donc à plus de 60 kilomètres de la place d’affaires son ancien employeur. Vue la pandémie de Covid, monsieur Errai rendait sa prestation de services à partir de son domicile qui lui, se trouvait à l’intérieur du territoire de 60 kilomètres visé par la clause de non-concurrence. Le tribunal se basant entre autres sur le fait que n’eut été de la pandémie, monsieur Errai aurait normalement rendu sa prestation de services au siège social de son nouvel employeur à Ottawa et que la clause de non-concurrence devait avoir comme objectif de protéger les intérêts légitimes de l’employeur, conclura en l’absence de contravention à la clause de non-concurrence. Avant de tirer une conclusion de principe de cette décision, il faudra voir ce que le juge au fond et les tribunaux décideront quant à cette nouvelle donnée que constitue le télétravail. Il faut se rappeler que les tribunaux, dans l’application des clauses de non-concurrence vont toujours évaluer la validité de celle-ci et la situation des parties in concreto, c’est-à-dire selon les faits particuliers de l’affaire qui se trouvent devant eux.
En conclusion, bien qu’en principe la validité des clauses de non-concurrence soit maintenant admise par le Code civil du Québec, elles demeurent soumises à des conditions strictes de validité et de raisonnabilité. Il est toutefois difficile, voire impossible, d'établir à l'avance une règle uniforme, la validité de telles clauses dépendant toujours de situations particulières et uniques à chaque cas. Il faudra donc à chaque fois évaluer, selon les grands critères énumérés plus haut et ceux reconnus par les tribunaux, la validité d'une telle clause dans un contexte donné et selon les circonstances propres à chaque situation. C’est pourquoi, également, la rédaction de telles clauses constitue un exercice délicat et périlleux qui ne peut pas, généralement, être satisfait par l’utilisation de clauses standardisées sans faire de nuances ou d’adaptation.
Dernière mise à jour au 8 mars 2022
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