Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec.
L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction.
Catherine Galardo, avocate associée chez Langlois Avocats et CRHA
Une politique quant à la surveillance de l’utilisation d’Internet
La cybersurveillance : Les balises du droit de l'employeur
Identité du salarié ayant commis l'écart de conduite
Le présent article se veut un aide-mémoire des principales notions que tout employeur devrait connaître pour encadrer l’utilisation d’Internet sur les lieux du travail et pour sanctionner les employés qui commettent des écarts de conduite.
Si l’accès à Internet ou l’usage du courrier électronique accordé par l’employeur pour des fins professionnelles est séduisant pour l’employeur, il comporte cependant des inconvénients importants. En effet, si cette technologie permet, entre autres, d’améliorer la productivité des employés, les communications internes et externes, la rapidité de certains services à rendre, et ce, tout en réduisant certains coûts, elle peut également entraîner une perte de temps importante et des conséquences sérieuses sur la réputation et l’image de l’entreprise.
Une politique quant à la surveillance de l’utilisation d’Internet
Bien que l’employeur n’ait aucune obligation légale d’adopter une politique sur l’utilisation d’Internet et du courrier électronique, il est impératif d’avoir une telle politique afin d’encadrer l’usage d’Internet. Cette politique vise à informer les salariés de la position de l’employeur sur ce qu’il trouve tolérable et sur ce qu’il ne tolère pas. Ainsi, dans un premier temps, cette politique devra indiquer que l’usage du courrier électronique et d’Internet sont à la disposition des salariés pour leur travail, et ce, par exemple, sur le temps de travail des employés. Elle devra également proscrire l’usage abusif ou excessif d’Internet ou du courrier électronique à des fins personnelles, la navigation sur certains sites, tels les sites à connotation sexuelle ou les sites ayant du matériel associable à des actes de violence, le téléchargement, la lecture en flux ou la transmission de tout matériel qui n’est pas en lien avec le travail.
De plus, la politique devra indiquer que des sanctions pourront être imposées. Enfin, cette politique servira également à aviser les employés que l’employeur se réserve le droit de surveiller leurs courriers électroniques ou leurs activités sur Internet.
Il va de soi que toute politique n’est efficace qu’à partir du moment où elle est communiquée aux salariés.
La transmission de celle-ci de main en main, idéalement en requérant la signature de l’employé à l’effet qu’il l’a lue, ou par courriel, en demandant un accusé de réception et de lecture, entraîne immanquablement la connaissance du salarié et pourra permettre à l’employeur de mettre en preuve la connaissance de cette politique par celui-ci. Si l’employeur possède un manuel de l’employé ou un code de conduite, l’existence de cette politique devrait également y figurer.
Somme toute, la politique doit être claire, connue de tous et appliquée.
Ceci étant dit, un employeur ne peut non plus se cacher derrière sa politique sans aucun égard pour le droit à la vie privée de ses salariés. En effet, en 2012, la Cour suprême a transmis un message clair aux employeurs à l’effet que la mise en place d’une politique sur l’utilisation d’Internet n’est pas suffisante pour éliminer le droit au respect de la vie privée d’un employé (La Reine c. Cole, 2012 CSC 53). Une politique n’a donc pas pour effet d’anéantir l’expectation de vie privée que peut avoir un salarié, elle ne fait que la réduire.
La cybersurveillance : Les balises du droit de l'employeur
Si le droit de gérance de l’employeur lui permet de surveiller l’utilisation d’Internet au travail, ce dernier doit toutefois respecter certaines balises. L’employeur doit effectivement s’assurer de respecter le droit à la vie privée de ses employés ainsi que leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables.
Cette question du droit à la vie privée d’un employé fut encadrée par la Cour d’appel dans l’arrêt Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau(1) . Dans cet arrêt de principe, la Cour d’appel a statué que si l’employeur avait des doutes ou motifs raisonnables de surveiller la prestation de travail d’un employé, cela ne constitue pas un empiétement sur le droit à la vie privée. De plus, la Cour indique qu’en milieu de travail, l’expectative raisonnable de l’employé est moindre que s’il était chez lui.
Somme toute, l’employeur pourra effectuer une cybersurveillance s’il entretient des motifs raisonnables de croire que l’employé utilise Internet pour des fins personnelles.
Souvent, les employeurs devront faire affaire avec un expert en informatique ou à leur gestionnaire du réseau informatique afin d’effectuer de la cybersurveillance ou la vérification de l’utilisation faite par un salarié. À titre d’exemple, l’information peut être trouvée en vérifiant le répertoire "historique" de l’ordinateur de l’employé, par un examen du "cache", par une analyse du disque dur de la station du salarié ou via le relevé des "cookies". Rien n’empêche non plus l’employeur d’installer des logiciels qui auront pour but de signaler des anomalies. À titre d’exemple, dans l’affaire Blais c. La Société des loteries vidéo du Québec inc (2), le système électronique de l’employeur ayant bloqué un courriel de taille trop volumineuse, l’employeur avait enquêté pour finalement s’apercevoir que l’employé utilisait Internet pour obtenir du matériel pornographique.
Sachez qu’il existe, entre autres, des logiciels "firewall" qui permettent d’identifier les sites Web visités à partir d’un poste. En fait, le marché offre une série de logiciels ou d’outils qui viennent aider les employeurs à exercer une surveillance efficace (3).
D’autre part, l’employeur doit être prudent et analyser avec soin les résultats d’une enquête qu’on lui présente. À cet égard, nous renvoyons le lecteur à la sentence Montréal (Ville de) et Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal (SPPMM), (Linda Gamache)(4) où l’arbitre Blais a réduit une suspension de trois mois à un mois. Dans cette affaire, l’employeur avait déposé un rapport d’enquête mettant en preuve que la salariée consacrait près de 50% de son temps de travail sur Internet et que plus de 60% du contenu de sa boîte de courriels n’était pas relié au travail. Pour sa part, le syndicat prétendait que l’employeur ne fournissait pas assez de travail à la salariée et qu’une partie importante des tâches de la plaignante consistait à utiliser Internet. L’arbitre a d’abord conclu que le rapport d’enquête n’était pas fiable, l’enquêteur ayant admis ne pas être familier avec les fonctions de la salariée et ayant admis que certains courriels classés « non reliés au travail » auraient dû être classés dans les courriels du travail. L’arbitre souligne ne pouvoir dans ce contexte retenir les pourcentages établis dans le rapport.
Ceci étant dit, l’arbitre retient que la preuve présentée démontre tout de même que la salariée a utilisé l’Internet et le service de courriel à des fins personnelles de façon excessive. Reprenant les enseignements de la jurisprudence, l’arbitre souligne aussi que le fait de naviguer sur Internet à des fins personnelles, pendant ses heures de travail, constitue un vol de temps qualifié de faute grave, et ce, même si l’employée s’y adonne alors qu’elle est en attente de travail.
Il est intéressant de souligner que l’arbitre retient notamment comme facteur atténuant l’absence d’incidence sur son rendement au travail et le non-respect, par l’employeur, de la théorie de la gradation des sanctions, celui-ci ayant dès le départ imposé une lourde suspension.
À chaque fois qu’une problématique d’utilisation d’Internet se pose, l’employeur doit se demander :
Un salarié peut faire une utilisation inappropriée d’Internet durant ses heures de repas. Le tribunal devra analyser les deux volets si un employeur soulève les deux reproches (Corporation de développement Nordic inc. c. Commission des relations de travail, J.E. 2013-1999 (C.S.)).
Identité du salarié ayant commis l'écart de conduite
Une fois que l’employeur réussit à démontrer qu’il y a vol de temps et/ou une utilisation abusive ou inappropriée d’Internet qui a été fait du poste de travail du salarié, il faut également démontrer que ces écarts de conduite ont bel et bien été faits par le salarié visé.
Si, parfois, il n’y a aucun doute, soit parce que le salarié est seul à travailler à cet endroit, cela n’est pas toujours aussi évident. En effet, dans la décision Bélisle et Municipalité de Rawdon (5), où l’employeur avait découvert 1 600 fichiers à caractère pornographique sur le disque dur de l’ordinateur d’un salarié, l’arbitre a rejeté cet élément, indiquant que plusieurs salariés avaient également accès à cet ordinateur.
La sanction imposée devra être proportionnelle au vol de temps constaté et/ou à l’usage inacceptable ou abusif.
L’analyse de la jurisprudence démontre que la sanction imposée par l’employeur peut même aller jusqu’au congédiement. En fait, la jurisprudence identifie une série de critères à considérer dans le choix de la sanction : l’importance du vol de temps, la période de temps sur laquelle s’échelonne l’utilisation abusive, la répétition de l’écart de conduite de même nature, la gradation des sanctions, le degré d’autonomie de l’employé, la fonction exercée au sein de l’entreprise(6), le mensonge de l’employé (par exemple : la falsification de ses feuilles de temps), la diminution de productivité de l’employé et l’impact sur l’entreprise. Le décideur navigue donc à travers un ensemble de facteurs aggravants et atténuants.
En regard de ces critères, nous vous invitons à lire d’abord deux décisions où le congédiement imposé par l’employeur pour avoir utilisé Internet fut maintenu :
D’autre part, s’il existe des dossiers où le congédiement a été maintenu, c’est loin d’être toujours le cas.
Pour appuyer ce propos, l’auteure vous réfère à la sentence Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, Syndicat canadien de la fonction publique (FTQ) et Hydro-Québec (Mia Lavallée)(9).
Dans cette affaire, l’arbitre Faucher conclut qu’une responsable au service à la clientèle n’avait pas eu une utilisation raisonnable d’Internet en naviguant en moyenne entre une heure et une heure et demie par jour, et ce, sans calculer la période de repas. Elle avait également eu une utilisation excessive en transmettant pendant une période de un an et un mois en moyenne 75 courriels par jour. Après avoir souligné que ce vol de temps constituait une faute grave, l’arbitre ajoute que la salariée avait déjà été avisée que son utilisation de Twitter avait été considérée comme du vol de temps et qu’il ne s’agissait pas d’actes isolés de sa part, mais prémédités. D’autre part, l’arbitre retient aussi que la salariée n’avait pas consulté de sites inappropriés. Après cette analyse, l’arbitre conclut que cette faute prise isolément n’était pas suffisante pour fonder un congédiement.
De façon plus récente, l’auteure attire l’attention du lecteur sur la sentence Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre hospitalier de St. Mary (CSN) et Centre hospitalier de St. Mary (Ronald Masson)(10).
Dans cette affaire jugée en 2016, l’arbitre Saint-André modifie une suspension de 1 mois à deux semaines. Bien qu’il conclut que le salarié ait utilisé du matériel informatique sans autorisation, violant la politique de l’employeur, il exprime un malaise de qualifier la situation de vol de temps. À cet égard, le salarié avait témoigné n’avoir été sur Internet que pour de courtes périodes pendant ses pauses et sa période de repas. Or, l’employeur n’avait présenté qu’une preuve du moment de l’utilisation via des cookies et non de la durée des visites. Cette absence de preuve de l’ampleur de la perte de temps a joué contre la décision de l’employeur de suspendre pendant un mois.
Somme toute, considérant la composante factuelle importante que ce type de dossier possède, chaque cas doit être analysé individuellement. Bien que la jurisprudence ait établi certains facteurs qui sont considérés dans l’évaluation de la durée de la sanction, il n’existe pas de formule toute établie qu’un employeur peut utiliser pour déterminer la sanction appropriée. Dans ce contexte, il va sans dire qu’il est recommandé avant d’imposer une sanction de vérifier en jurisprudence si des cas similaires ont été analysés.
En espérant que ces balises vous guident… et surtout soyez vigilants!
3- L’auteure renvoie le lecteur au livre de Sophie Rompré : S. Rompré, La surveillance de l’utilisation d’Internet au travail, Yvon Blais, 2009, aux pp. 37 à 42 et S. Lefebvre, "Naviguer sur Internet au travail : et si on nageait en eaux troubles?", Développement récents en droit du travail, vol. 293, Service de la formation continue, Yvon Blais, 2008, p. 51.
6- Bourassa c. Ville de la Tuque, 2009 QCCRT 0322.
À jour au 4 janvier 2017
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