Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec.
L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction.
Johanne Muzzo, avocate, BÉLANGER, SAUVÉ, Montréal.
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2. Le vendeur ou le fournisseur impayé
Votre débiteur fait faillite. Vous ne bénéficiez d'aucune garantie et votre réclamation n'est ni pour des loyers ni à titre de salarié, bref vous êtes un créancier ordinaire. Que faire? Serez-vous compensé?
Certains créanciers ordinaires s'en tireront mieux que d'autres en raison des règles de la compensation, des droits à titre de vendeur ou fournisseur impayé, la réserve du droit de propriété, l'existence d'une caution ou encore parce que leur dette n'est pas effacée par la libération du failli.
Les types de créanciers… Un créancier garanti est un créancier qui détient une hypothèque (conventionnelle ou légale, à l'exception des hypothèques légales de jugement) ou encore un créancier "dont la réclamation est fondée sur un effet de commerce ou garantie par ce dernier, lequel effet de commerce est détenu comme garantie subsidiaire et dont le débiteur est responsable qu'indirectement ou secondairement" (article 2 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (ci-après L.F.I.) - créancier garanti). Un créancier privilégié est un créancier qui figure à l'article 136 de la L.F.I., et placé ou privilégié suivant l'ordre suivant : 1) frais funéraires; 2) frais d'administration de la faillite; 3) prélèvement dû au surintendant des faillites; 4) salaires; 5) dettes alimentaires; 6) taxes municipales; 7) loyers; 8) mémoire de frais lié à la saisie de l'article 70(2) ; 9) et la réclamation de salariés pour un préjudice non couvert par une loi sur les accidents de travail. Il existe également les créanciers hypochirographaires qui sont payés après les créanciers ordinaires (ex: réclamation d'un conjoint relativement à une rémunération pour un travail "effectué en corrélation avec le commerce ou l'entreprise du failli"). |
En droit civil, lorsque deux personnes sont réciproquement créancière (celui à qui est dû) et débitrice (celui qui doit) l'une de l'autre, que l'objet de la dette soit de même expèce et que les dettes liquides et exigibles, il est possible d'invoquer compensation. En vertu du paragraphe 97(3) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (ci-après L.F.I.), les règles de la compensation s'appliquent dans le cadre d'une faillite.
La réciprocité implique que chacune des deux personnes soient à la fois créancière et débitrice. Ainsi, si vous devez de l'argent au failli, alors que le failli doit de l'argent à votre conjoint, l'élément de réciprocité n'existe pas.
Deuxièment, l'objet de la dette doit être semblable (habituellement, il s'agit de sommes d'argent). Troisièmement, les dettes doivent être liquides, c'est à dire qu'elles ne sont ni contestées ni assorties d'une condition.
Enfin, les dettes doivent être exigibles, c'est-à-dire que les dettes sont dues. Cependant, en matière de faillite, il suffit que les dettes existent à la date de la faillite pour permettre la compensation.
Si vous êtes dans la situation où vous pouvez invoquer compensation, vous n'avez pas à déposer une preuve de réclamation auprès du syndic, sauf si votre créance est supérieure à votre dette. Cependant, si vous ne déposez pas de preuve de réclamation, obtenez du syndic une lettre confirmant qu'il reconnaît qu'il y a eu compensation.
La compensation ne s'opérera pas s'il est démontré qu'il y a eu fraude ou préférence frauduleuse. Ainsi, si vous achetez des biens de votre débiteur à l'intérieur du délai de trois (3) mois avant la date de l'ouverture de la faillite jusqu'à la date de la faillite (un (1) an si vous êtes des personnes liées, les règles concernant les préférences frauduleuses s'appliquent (article 95 L.F.I.). La L.F.I. énumère diverses situations par lesquelles des personnes sont considérées liées entre elles, par exemple lorsque la transaction implique une personne et une compagnie contrôlée par cette même personne.
Donc, si le syndic fait la preuve que la transaction s'est déroulée pendant la période mentionnée ci-dessus alors que votre débiteur était insolvable, la présomption de préférence frauduleuse s'exercera et ce sera à vous, à titre de créancier, à faire la preuve contraire. Le syndic pourrait également se prévaloir de l'action en inopposabilité (Code civil du Québec) si la transaction s'effectue à l'extérieur de la période visée par la L.F.I. L'action en inopposabilité vise à faire déclarer un acte juridique, ayant comme conséquence l'appauvrissement du patrimoine du débiteur, d'être déclaré inopposable au syndic et lui permettre de saisir le bien qui se retrouve entre les mains de la personne qui a bénéficié de cette transaction.
Le vendeur ou le fournisseur impayé
Avant 1992, en matière de faillite, seules les dispositions législatives québécoises offraient la possibilité au vendeur impayé, à certaines conditions, de reprendre les marchandises vendues mais non payées. Depuis, le législateur fédéral a amendé sa loi et le même recours est dorénavant prévu à la L.F.I. Sous les deux lois, en ce qui concerne les recours spécifiques aux vendeur impayé, les biens doivent avoir été délivrés dans une période d'au plus trente (30) jours au moment où survient la faillite. Cependant, en droit civil, la vente doit avoir été faite sans terme, alors qu'il n'y a pas une telle exigence en matière de faillite. Par contre, le législateur fédéral restreint la revendication du vendeur impayé aux biens destinés à être utilisés dans le cadre des affaires du débiteur, alors que le Code civil permet un tel recours contre des particuliers. Sous les deux lois, les biens doivent être identifiables et ne pas avoir été ni revendus ni transformés.
Un autre recours peut être envisagé. Le Code civil du Québec prévoit, par ses règles générales de résolution des contrats, qu'un créancier peut résilier un contrat, sans poursuite judiciaire, si le débiteur est en demeure soit de plein droit (par exemple, une date d'échéance dans un contrat) soit par le délai fixé par la mise en demeure. Il s'agit donc d'un recours à la portée d'un créancier si la vente a été faite avec terme et que les biens ont été livrés depuis plus de trente (30) jours, ou encore lorsque la vente a été faite avec terme mais à un particulier. Ainsi, dans l'affaire Kingsley (Cour supérieure de Montréal, 1995), le créancier avait vendu un réfrigérateur, une cuisinière et un congélateur. Les acheteurs ont fait cession de leurs biens. Le registraire de faillite a confirmé que le vendeur-créancier pouvait réclamer les biens aux mains du syndic en invoquant les règles générales de résolution des contrats plutôt que les règles particulières aux ventes de biens meubles. En contrepartie, le créancier a dû remettre les sommes d'argent déjà reçues depuis la vente.
Un créancier qui s'est réservé la propriété de ses biens jusqu'à parfait paiement peut opposer cette clause au syndic de faillite. Ce sera au créancier-propriétaire à faire la preuve de son droit dans les biens. Ainsi, il a déjà été décidé par les tribunaux que la simple mention d'une réserve de propriété sur une facture n'est pas suffisante pour revendiquer la possession des biens. Le créancier - propriétaire pourra cependant faire valoir d'autres moyens de preuve pour démontrer que son débiteur avait connaissance de cette clause.
Un créancier-propriétaire qui revendique les biens aux mains du syndic doit le faire par le biais d'une preuve de réclamation de biens (article 81 L.F.I.). Pour réclamer ces biens, ceux-ci doivent être en la possession du failli et être identifiables. Le syndic a quinze (15) jours après avoir reçu la preuve de réclamation ou quinze (15) jours après la première assemblée de créanciers, selon l'événement qui se produit en dernier, pour soit admettre la demande du créancier propriétaire ou contester cette demande. Si le syndic rejette la preuve de réclamation de biens, le créancier-propriétaire a quinze (15) jours après cet avis pour en appeler de cette décision au tribunal.
Si votre débiteur fait faillite mais qu'une autre personne s'était engagée à effectuer le paiement, vous pouvez demander paiement auprès de celle-ci et ce, même après la libération du failli. L'article 179 L.F.I. prévoit expressément que la libération du failli ne libère pas la caution.
Cependant, faites attention au délai de prescription. La prescription consiste à la période de temps qui vous est allouée à partir du moment où votre droit d'action contre le débiteur existe pour exercer ce droit d'action. Si en raison du contrat la dette n'était pas encore exigible à la date où votre débiteur fait faillite, elle le devient dès la faillite. A partir de ce moment, le délai de prescription commence à courir contre la caution, car la faillite n'interrompt pas celle-ci. Par exemple, s'il s'agit d'une somme due en raison de l'achat de fournitures, vous avez trois ans, à partir de la date de la faillite, pour intenter une action contre la caution. Cependant, si la dette était exigible avant la date de la faillite, le délai de prescription a donc commencé à courir dès le jour où la dette était exigible et continue à courir pendant la faillite.
Par contre, la mention de votre créance au bilan du failli ou encore l'acceptation de votre preuve de réclamation par le syndic opère interruption, et celle-ci vaut contre la caution.
La libération du débiteur est le mécanisme juridique par lequel il sera mis un terme à la condition de failli et par lequel le débiteur sera libéré des dettes dues à la date de sa faillite, que ces dernières soient ou non remboursées.
Une personne morale (une compagnie, société, etc.) n'est jamais libérée de sa faillite, à moins que toutes ses dettes ne soient payées. Dans les faits, la personne morale n'a plus d'actifs et elle cesse d'exister à un moment donné. Notez que dans certains cas, les administrateurs d'une personne morale faillie sont responsables des dettes de celle-ci.
Lorsqu'il s'agit d'un individu physique qui fait faillite, et qu'il s'agit de sa première faillite, la L.F.I. prévoit que celui-ci est automatiquement libéré après neuf (9) mois. Il est cependant possible pour un créancier de s'opposer à cette libération. Le créancier doit aviser le syndic, le failli et le surintendant des faillites de son intention de s'opposer à la libération ainsi que les motifs de cette opposition. Les motifs d'opposition sont mentionnés à l'article 173 L.F.I. Le créancier peut ainsi demander au tribunal soit de refuser la demande de libération, de la suspendre ou encore de condamner le failli à verser une somme d'argent. Malheureusement pour le créancier diligent, la jurisprudence majoritaire est à l'effet que lorsqu'un tribunal accorde une libération conditionnelle subordonnée au paiement d'une somme, ce sont tous les créanciers du débiteur qui en profitent et non seulement celui qui s'est opposé. Cependant, depuis le 30 septembre 1997, le tribunal peut accorder les frais au créancier opposant à concurrence du montant auquel le failli a été condamné à verser (article 197 (6.1) L.F.I.).
Certaines dettes ne sont pas, malgré la libération, effacées par celle-ci: amendes pénales; certains dommages-intérêts accordés en matière civile (lésions corporelles causées intentionnellement, agression sexuelle ou décès); dettes alimentaires; dettes liées à une malversation commise alors que le failli agissait à titre de fiduciaire; biens ou services obtenus en raison de fausses représentations ou de présentations erronées et frauduleuses des faits; dette d'un créancier non révélé par le failli à concurrence du dividende versé; dettes découlant de prêts étudiants.
Il n'est pas nécessaire, pour un créancier, de s'opposer à la libération du débiteur lorsqu'il prétend que sa créance n'est pas effacée par la libération du failli.
Cependant, un créancier devra obtenir jugement quant à certaines dettes mentionnées ci-dessus. Par exemple, si un créancier prétend qu'il a accordé un prêt à son débiteur en raison de fausses représentations de ce dernier, il est nécessaire qu'un tribunal se soit prononcé sur le caractère de ces représentations aux fins de déterminer si elles étaient fausses ou non.
Quant à obtenir ce jugement, le créancier peut soit être autorisé par le tribunal de faillite pour commencer ou continuer les procédures contre le failli ou encore attendre après la libération du failli pour intenter les procédures. Il est possible également de demander au tribunal de faillite de statuer sur la question au moment de la demande de libération. La jurisprudence est partagée sur cette question, certains juges acceptant d'entendre les représentations à ce moment-là, alors que d'autres refuseront de le faire.
Le créancier ordinaire a malheureusement moins de chances de recouvrer quoi que ce soit lors de la faillite de son débiteur qu'un créancier garanti. À la lumière des situations décrites ci-dessus, certaines de vos pratiques commerciales devraient peut-être être revues. Si ce n'est pas possible, il ne faut pas oublier que chaque faillite est un nouveau portrait : du recouvrement de sommes d'argent ou de biens frauduleusement transmis au versement d'une somme d'argent par le failli comme condition de sa libération, il existe différents aspects à considérer avant de jeter la serviette!
À jour au 27 mars 1998
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