AVIS AUX LECTEURS Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec. L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction. |
Michel A. Solis et Geneviève Cabana, avocats - Michel A. Solis & Associés, Montréal
Contenu
L'approche de l'an 2000 a sonné le glas chez les utilisateurs
de systèmes informatiques depuis la découverte
de l'incompatibilité de plusieurs logiciels avec le passage
au deuxième millénaire.
La majorité des logiciels ne sont pas compatibles avec
l'an 2000, considérant qu'ils ont été développés
pour calculer les années à l'aide de deux (2)
champs au lieu de quatre (4) ("97" au lieu de "1997")
et assument que toutes les dates se situent dans le 20e siècle.
Ainsi, si on demande au logiciel d'effectuer un calcul impliquant
une année située au-delà de 1999, le système
fournira des résultat inexacts ou encore "plantera".
Si ces systèmes ne sont pas modifiés en conséquence,
ils pourraient occasionner des problèmes majeurs aux
entreprises pour qui le calcul des années est important,
comme par exemple les institutions financières, les compagnies
d'assurances, les courtiers etc.
Afin de pallier ce problème, les logiciels doivent être
modifiés et ce, avant la date fatidique du 1er janvier
2000. Selon l'industrie, le coût total d'une telle modification
pourrait s'élever à 6 milliards de dollars. Mais
qui doit en payer le prix? Les producteurs, distributeurs et
vendeurs de logiciels ou les acheteurs?
Une des premières questions que l'on se pose est
comment peut-on se retrouver avec un tel problème aujourd'hui?
La réponse est simple: ce type de configuration était
auparavant la norme dans l'industrie. Considérant que
la mémoire vive était très dispendieuse,
on épargnait des sous en utilisant seulement deux champs
au lieu de quatre et surtout, les producteurs ne croyaient pas
que leurs logiciels seraient encore utilisés des dizaines
d'années plus tard, étant donné la rapidité
des développements technologiques.
Dans ce cas, est-ce qu'un logiciel développé en
1996 et dont la durée de vie est estimée à
cinq (5) ans devrait être compatible avec l'an 2000, ou
sinon, comporter un avertissement à l'effet qu'il ne
l'est pas? Dans l'affirmative, est-ce que les producteurs de
logiciels doivent supporter l'entière responsabilité
de cette incompatibilité et ce, dans toutes les situations?
Probablement pas, mais comme vous pouvez le constater, ce problème
de l'an 2000 pose présentement plusieurs questions.
Le premier réflexe de l'utilisateur du logiciel doit
naturellement être l'examen de tous les contrats relatifs
audit logiciel, soit le contrat de licence, de support etc.
De manière générale, lorsqu'il
n'y a aucune limitation ou exclusion de garantie à l'intérieur
d'un contrat de vente, la garantie légale de qualité
du bien vendu s'applique. C'est-à-dire que, selon l'article
1726 du Code civil du Québec:
"Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix s'il les avait connus."
À cet égard, il est important de souligner que
cette garantie légale contre les vices cachés
s'applique non seulement au vendeur du logiciel, mais aussi
au distributeur et au producteur.
En conséquence, est-ce que le fait qu'un logiciel cesse
de fonctionner correctement le 1er janvier 2000 sera considéré
comme un vice caché? Probablement dans le cas d'un
logiciel développé en 1995 qui a pour fonction
principale le calcul des dates, considérant que ce
défaut le rendra impropre à l'usage auquel il
était destiné.
Mais qu'en est-il pour un logiciel développé
en 1985? Le producteur pourrait peut-être repousser
cette garantie en démontrant que le mauvais fonctionnement
de celui-ci en l'an 2000 est tout à fait normal et
ne survient pas prématurément par rapport à
d'autres logiciels similaires, c'est-à-dire du même
âge.
Par ailleurs, les contrats de licence excluent fréquemment
toute garantie explicite ou implicite, incluant toute garantie
de qualité, de pertinence pour un usage quelconque,
ou quant à l'exactitude, à la performance ou
à l'absence d'erreurs dans le logiciel. Dans la mesure
où ces exclusions de garanties expresses seraient valides,
il deviendrait plus difficile de prouver la responsabilité
du producteur quant au non-fonctionnement de son logiciel.
Toutefois, ces exclusions de garanties pourraient être
jugées invalides par un tribunal. En effet, bien qu'un
vendeur puisse exclure ou limiter la garantie légale
sur le logiciel, il lui est impossible d'exclure ou de limiter
sa responsabilité s'il n'a pas révélé
à l'acheteur les vices qu'il connaissait et qui affectent
la qualité du logiciel. Or, bien qu'il soit plausible
que le vendeur ne connaisse pas l'incompatibilité du
logiciel avec l'an 2000, il serait surprenant que son producteur
ne soit pas au courant...
En conséquence, même si la garantie du contrat
de licence est expirée ou encore, si celui-ci exclut
toute garantie ou responsabilité du producteur, il
est possible que celui-ci soit malgré tout tenu responsable
s'il est démontré qu'il savait que le logiciel
deviendrait inutilisable à l'an 2000 et qu'il a délibérément
choisi de ne pas en informer l'acheteur.
Les contrats de licence "shrink-wrap"
De plus, il est important de rappeler que la validité de telles exclusions de garanties est d'autant plus incertaine si celles-ci sont mentionnées dans un contrat de licence sous forme "shrinkwrap", c'est-à-dire dans un contrat de licence qui est intégré à l'emballage du logiciel et qui, en conséquence, n'est pas signé par l'acheteur.
D'autre part, les contrats de licence accordent souvent
une seule et unique garantie sur le logiciel: celui-ci fonctionnera
de façon conforme à la documentation qui l'accompagne
et ce, souvent pour une période de temps limitée
(comme par exemple 90 jours). Or, la plupart de ces garanties
ne seront plus applicables au 1er janvier 2000 et ne seront
donc d'aucune utilité à l'acheteur.
Par contre, si la relation entre les parties survit jusqu'à
l'an 2000 par le biais d'un contrat de support, le producteur
devra alors respecter la garantie énoncée dans
ledit contrat. Or, si celui-ci garantit que le logiciel fonctionnera
de façon conforme à sa documentation, il est
probable que le producteur soit tenu responsable, considérant
que la documentation qui accompagne les logiciels n'exclut
habituellement pas le fonctionnement du logiciel en l'an 2000.
Quant à la responsabilité du producteur
de logiciel, celle-ci est souvent exclue expressément
à l'intérieur du contrat, comme par exemple:
"En aucun cas le producteur ne sera-t-il responsable
pour toute perte de revenus, profits, ou de données
ou pour des dommages spéciaux, indirects, imprévisibles
ou punitifs, découlant de ou en rapport avec l'utilisation
ou l'incapacité d'utiliser le logiciel (...)."
Encore là, une telle limitation de responsabilité
pourrait faire obstacle à une action en dommages d'un
acheteur contre un producteur.
Néanmoins, il est important de rappeler qu'il est impossible
pour le producteur d'exclure sa responsabilité pour
le dommage matériel causé par sa faute intentionnelle
ou par sa faute lourde, c'est-à-dire par son insouciance,
son imprudence ou sa négligence grossière. Est-ce
que le fait d'avoir développé et mis en marché
un logiciel qui cessera de fonctionner correctement le 1er
janvier 2000 pourrait être considéré comme
une faute lourde de la part du producteur?
Afin de répondre à cette question, plusieurs
facteurs devront être examinés, dont plus particulièrement
la durée de vie raisonnablement prévisible dudit
logiciel. En effet, la responsabilité d'un producteur
quant à un logiciel développé en 1985
sera probablement examinée sous un angle différent
de celle d'un producteur quant à un logiciel développé
en 1995.
La première chose que doit faire un acheteur
confronté à un tel problème est de communiquer
avec le producteur afin de connaître sa position quant
à l'incompatibilité du logiciel: est-ce qu'une
solution a été développée quant
au problème d'incompatibilité du logiciel, celle-ci
est-elle offerte gratuitement?
Dans le cas contraire, c'est-à-dire si le producteur
nie toute responsabilité et refuse d'effectuer les
modifications requises sur le logiciel, plusieurs acheteurs
seront tentés de faire appel à une autre compagnie
afin que celle-ci effectue lesdites modifications sur le logiciel.
Faire modifier le logiciel par un tiers?
Cependant, cette solution est risquée car les
contrats de licence comportent habituellement une clause interdisant
à l'acheteur de modifier, désassembler ou décompiler
le logiciel et ce, de quelque manière que ce soit.
Le fait qu'un tiers modifie le logiciel afin de rendre celui-ci
compatible avec l'an 2000 peut donc constituer une violation
du contrat de licence et donner ouverture à sa résiliation
par le producteur.
De plus, même en l'absence d'une telle interdiction
à l'intérieur du contrat de licence, cette modification
du logiciel par un tiers pourrait constituer une infraction
à la Loi sur le droit d'auteur et entraîner
un recours en dommages-intérêts du producteur
contre l'acheteur et la tierce partie ayant modifier ledit
logiciel. En effet, l'article 64.2 (2) de la Loi sur le
droit d'auteur prévoit:
"Il est entendu que peut constituer une violation du droit d'auteur ou des droits moraux sur une oeuvre l'incorporation de tout programme d'ordinateur dans un circuit intégré ou de toute oeuvre dans un tel programme."
Afin de minimiser les risques d'une telle opération, l'acheteur devrait préalablement demander au producteur de rendre le logiciel compatible à l'an 2000 dans un délai raisonnable et qu'à défaut de le faire, il n'aura d'autre choix que de s'adresser à un tiers afin de faire effectuer les modifications requises. Bien que cette solution ne soit pas une garantie contre la résiliation de la licence ou contre toute poursuite éventuelle de la part du producteur, elle démontre à tout le moins la bonne foi de l'acheteur.
Dans le but d'éviter de longs et dispendieux
litiges, il serait peut-être plus avantageux pour les
producteurs de rendre disponible une solution afin que leur
logiciel fonctionne correctement à l'an 2000, comme
par exemple en offrant celle-ci gratuitement aux acheteurs
de logiciels dont la garantie est encore en vigueur et à
moindre coût à ceux dont la garantie est expirée.
À l'avenir, compte tenu de l'incertitude actuelle quant
à l'étendue de la responsabilité des
producteurs, il serait plus prudent d'aviser les acheteurs
de l'incompatibilité du logiciel à l'an 2000,
le cas échéant, et d'exclure expressément
toute garantie et toute responsabilité à cet
égard et ce, à l'intérieur même
des contrats de licence.
À jour au 15 novembre 1997
Avis. L'information présentée ici est de nature générale et est mise à votre disposition sans garantie aucune notamment au niveau de son exactitude ou de sa caducité. Cette information ne doit pas être interprétée comme constituant des conseils juridiques. Si vous avez besoin de conseils juridiques particuliers, vous devriez consulter un avocat.
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