Me Stéphanie Fortier-Dumais, avocate chez Langlois Avocats, Québec
À noter : Ce texte se veut une mise à jour d'un article originalement rédigé par Me Daniel Dumais, maintenant juge à la Cour supérieure.
La définition de la prescription
Le calcul des délais et le point de départ de la prescription
Le présent article se veut une synthèse des grands principes de la prescription, un mécanisme par lequel une personne ou un organisme acquiert ou se libère d'un bien ou d'une obligation par l'écoulement du temps. Ainsi, dans certaines situations particulières, un individu pourrait devenir propriétaire d'un terrain par le seul écoulement du temps; une personne pourrait perdre un droit contre une autre en raison de son défaut d'agir; un individu pourrait se libérer d'une dette envers son créancier, etc.
La prescription vise à stabiliser et à cristalliser les situations juridiques.
Elle est régie en majeure partie par les articles 2875 à 2933 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), et par plusieurs autres articles spécifiques prévus au C.c.Q ainsi que dans certaines lois particulières.
Il n'y a pas de délai de prescription dans les cas d'actes criminels. La police peut donc accuser une personne d'un acte criminel plusieurs années après que l'infraction ait été commise.
La définition de la prescription
«La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer par l'écoulement du temps et aux conditions déterminées par la loi […].» (art. 2875, C.c.Q.)
Il existe deux types de prescriptions : la prescription acquisitive et la prescription extinctive.
L'article 2910 C.c.Q. définit plus précisément la notion de prescription acquisitive:
«La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir le droit de propriété ou l'un de ses démembrements, par l'effet de la possession.»
On peut donc, par exemple, en respectant certaines conditions prévues à la loi, acquérir un bien meuble lorsqu'il a été en notre possession pendant trois ans.
La prescription extinctive ou libératoire, quant à elle, est définie à l'article 2921 C.c.Q.:
«La prescription extinctive est un moyen d'éteindre un droit par non-usage ou d'opposer une fin de non-recevoir à une action.»
Ce type de prescription a pour effet concret d'empêcher un recours en justice si l'on ne s'est pas prévalu de son droit dans le délai prévu par la loi.
Au Québec, ce qui n'est pas déclaré imprescriptible peut être prescrit. La prescriptibilité dépend du caractère de la chose. Le fait de ne pas être susceptible d'appropriation ou d'être l'objet de commerce et l'incessibilité constituent les caractères entraînant l'imprescriptibilité. Ainsi, sont imprescriptibles les choses non commerciales comme les droits extrapatrimoniaux, dont notamment les droits de la personnalité et les libertés fondamentales. Sont aussi imprescriptibles les choses communes qui ne sont pas susceptibles d'appropriation en raison de leur utilité publique tel l'air, l'eau (l'air et l'eau qui ne sont pas destinés à l'utilité publique sont toutefois prescriptibles s'ils sont recueillis et mis en récipient), les biens de l'État et les biens des personnes morales de droit public (comme les municipalités, les commissions scolaires, les organismes publics et les sociétés d'état).
La prescription court en faveur ou contre tous, même l'État (mis à part les biens de l'État). La loi peut cependant édicter des exceptions et celles-ci ne sont pas rares.
Le calcul des délais et le point de départ de la prescription
Le calcul des délais est d'une extrême importance, car un mauvais calcul peut mener à une perte de droits. En premier lieu, le délai de prescription se compte par jour entier. Ainsi, il n'est pas tenu compte de l'heure en vue de déterminer le point de départ de la prescription.
La loi ne tient pas compte, dans le calcul des délais, du jour où la prescription a débuté. Ainsi, le délai de prescription débute le jour suivant celui où le fait qui marque le point de départ de la prescription est survenu. Cette prescription n'est acquise que lorsque le dernier jour du délai est achevé (art. 2879, C.c.Q.). Si ce dernier jour est un samedi ou un jour férié, la prescription ne sera acquise qu'au premier jour ouvrable suivant.
La dépossession, c'est-à-dire la perte de jouissance d'un bien par son possesseur, fixe le point de départ du délai de la prescription acquisitive, alors que la naissance du droit d'action fixe le point de départ de la prescription extinctive. (art. 2880, C.c.Q.)
La renonciation, l'interruption et la suspension
En matière de prescription, la renonciation est un acte d'abdication et unilatéral, de la part de celui qui prescrit, du droit ou du bénéfice qu'il a acquis par l'écoulement du temps. La renonciation est donc un acte dépendant de la volonté de celui qui prescrit. Elle consiste en un abandon du bénéfice du temps écoulé ou en un abandon du droit acquis par l'écoulement du temps.
L'interruption et la suspension se distinguent essentiellement de la renonciation en ce que leur application dépend, non pas de la volonté de celui qui prescrit, mais de l'application de la loi. L'interruption et la suspension se produisent lorsque, pendant le délai de prescription, surviennent un ou des événements qui, au terme de la loi, ont pour effet d'arrêter le cours de la prescription et d'empêcher qu'elle s'accomplisse au moment où elle aurait dû le faire.
La renonciation
«On ne peut pas renoncer d'avance à la prescription, mais on peut renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée.» (art. 2883, C.c.Q.)
En d'autres termes, on ne peut renoncer à la prescription qu'une fois qu'elle est acquise. Cette renonciation a pour effet de ramener à zéro le temps écoulé. En renonçant au bénéfice du temps écoulé, le renonçant perd alors le droit d'inclure la période antérieure à sa renonciation dans le calcul du temps par lequel il prescrit. La prescription recommence toutefois à courir immédiatement après la renonciation. (art. 2888, C.c.Q.)
Finalement, on ne peut convenir d'un délai de prescription autre que celui prévu par la loi. (art. 2884, C.c.Q.)
L'interruption
Le cas le plus commun d'interruption est celui qui survient suite au dépôt d'une demande en justice avant l'expiration du délai de prescription. Cette demande doit toutefois être signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire, au plus tard dans les soixante jours qui suivent l'expiration du délai de prescription. (art. 2892, C.c.Q.) Ainsi, dans la mesure où la demande en justice a été déposée avant l'expiration du délai de prescription, on dispose de soixante jours après l'expiration du délai de prescription pour signifier cette demande.
La suspension
La suspension est une mesure d'équité prévue par le législateur et qui consiste à favoriser certaines personnes menacées par la prescription, lorsqu'elles se trouvent dans l'impossibilité de l'interrompre. Cette impossibilité d'agir doit résulter d'une situation irrésistible telle l'incapacité physique ou psychologique d'agir ou, par exemple, l'ignorance de l'auteur de la faute ou de la nature du dommage subi. La suspension a pour effet d'arrêter provisoirement la marche du délai, tant que subsiste l'obstacle qui empêche d'agir. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l'impossibilité en fait d'agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d'autres. (art. 2904, C.c.Q.)
La prescription ne court pas contre l'enfant à naître ; contre le mineur ou le majeur sous tutelle ou mandat de protection, à l'égard des recours qu'ils peuvent avoir contre leur représentant ou contre la personne qui est responsable de leur garde ; entre les époux ou les conjoints unis civilement pendant la vie commune ; et contre l'héritier, à l'égard des créances qu'il a contre la succession. (art. 2905 à 2907, C.c.Q.)
Les conditions d'exercice de la prescription acquisitive
La prescription acquisitive requiert une possession.
«La possession est l'exercice de fait, par soi-même ou par l'intermédiaire d'une autre personne qui détient le bien, d'un droit réel dont on se veut titulaire.» (art. 921 C.c.Q.)
Pour produire ses effets, la possession doit se faire de façon paisible, continue, publique et non équivoque. (art. 922, C.c.Q.) Elle doit aussi, évidemment, porter sur un droit susceptible d'acquisition par prescription.
La détention (i.e. l'objet détenu pour le compte d'autrui) ne peut fonder la prescription, même si elle se poursuit au-delà du terme convenu. (art. 2913, C.c.Q.)
Les délais de la prescription acquisitive
«Le délai de la prescription acquisitive est de 10 ans, s'il n'est autrement fixé par la loi.» (art. 2917, C.c.Q.)
Cet article remplace la prescription de trente ans, prévue sous l'ancien code, par une prescription de dix ans.
Les délais de prescription d'immeubles
Le possesseur qui, pendant dix ans, a possédé un immeuble à titre de propriétaire, ne peut en acquérir la propriété qu'à la suite d'une demande en justice (art. 2918, C.c.Q.). Il faut que la possession soit toujours actuelle. Le jugement prévu en semblable matière ne fait que reconnaître le droit de propriété déjà acquis par l’écoulement du temps. Ainsi, il n’a qu’un caractère déclaratif, seule la prescription étant attributive du droit de propriété. L'immeuble possédé peut être immatriculé ou non. En effet, la loi ne fait plus de distinction à cet égard.
Contrairement à la prescription des droits mobiliers, la prescription en matière de droit immobilier n'est pas influencée par la bonne ou mauvaise foi du possesseur.
Le point de départ de la prescription acquisitive en matière immobilière est la possession de la part de celui qui prescrit ou de la part de ses auteurs. La possession de celui qui, par exemple, transmet un immeuble à ses héritiers peut être jointe à celle de ses ayants cause pour le calcul du temps écoulé.
Les délais de prescription des droits mobiliers
«Le possesseur de bonne foi d'un meuble en acquiert la propriété par trois ans à compter de la dépossession du propriétaire.» (art. 2919, C.c.Q.)
Cette disposition n'est pas limitée aux meubles corporels. La possession juridique d'un meuble incorporel et d'un démembrement du droit de la propriété est possible.
Il faut que le possesseur d'un meuble soit de bonne foi au moment de l'acquisition de celui-ci pour pouvoir invoquer la prescription de trois ans.
En effet, le possesseur de mauvaise foi ne peut prescrire que par dix ans à compter de la dépossession du propriétaire.
Un possesseur est de mauvaise foi lorsqu'il a une connaissance effective de la réalité au moment où il acquiert le bien ou le droit : il est conscient, au moment de son acquisition, qu'il n'est pas le propriétaire du bien ou le titulaire du droit. C'est d'ailleurs dans un sens large qu'il faut ici interpréter l'expression "de mauvaise foi". Celui qui acquiert un bien en le trouvant est considéré de mauvaise foi.
C'est au moment de l'acquisition que le possesseur doit être de bonne foi. S'il devient de mauvaise foi par la suite, il sera quand même admis à prescrire suivant le délai de 3 ans. Le point de départ de la prescription acquisitive en matière mobilière est la dépossession du propriétaire.
Les délais
Le délai de prescription de droit commun (la règle de base à moins d'exception), anciennement d'une durée de 30 ans (avant le 1er janvier 1994), est maintenant réduit à dix ans. Cette durée s'applique pour toutes prescriptions extinctives et dans toutes situations à moins qu'il n'en soit prévu autrement. Cette prescription de dix ans s'applique également aux actions qui visent à faire valoir un droit réel immobilier. Selon l'article 2923 C.c.Q., l'action qui vise à conserver ou à obtenir la possession d'un immeuble doit être exercée dans l'année où survient le trouble ou la dépossession. Il s'agit donc d'un délai de prescription d'un an.
Quant aux actions personnelles et aux actions portant sur les droits réels mobiliers, sans doute les plus fréquentes, l'article 2925 C.c.Q. prévoit un délai de trois ans. Le code ne fait ici plus de distinction entre les recours contractuels et les recours extracontractuels. On constate également que l'action pour blessures corporelles ou décès se prescrit maintenant par trois ans (sous réserve des dispositions spécialement contenues à l’article 2926.1, C.c.Q.) alors qu'elle se prescrivait par un an sous l'ancien code civil.
Les délais pour d'autres recours
L'effet principal de ce dernier point est de mettre de côté certaines dispositions, notamment dans le domaine du droit municipal, qui exigent qu'un avis préalable (habituellement désigné comme l'avis de 15 jours) soit obligatoirement donné avant l'exercice d'un recours fondé sur l'obligation de réparer le préjudice corporel.
Le texte de l'article 2930 C.c.Q. vise à remédier aux injustices causées par l'exigence d'avis dont les très courts délais faisaient fréquemment perdre aux victimes toute possibilité de recours.
Les délais prévus dans certaines lois particulières
Plusieurs lois particulières édictent des prescriptions autres que celles prévues par le Code civil. La liste suivante donne certains exemples de ces lois particulières:
Le point de départ du délai de prescription
Le jour où le droit d'action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive. Plusieurs articles viennent préciser l'application de cette règle générale:
Les pages qui précèdent nous ont permis de revoir l'essentiel des règles applicables en matière de prescription. Le Code civil du Québec et d'autres lois prévoient des règles particulières en matière de prescription qui sont souvent difficiles à interpréter ou à comprendre. En matière de prescription, soyez particulièrement vigilants. Protégez vos droits en consultant un juriste averti en la matière.
Dernière mise à jour : 31 mars 2023
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