AVIS AUX LECTEURS Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec. L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction. |
Yves Robillard, avocat, Bélanger Sauvé, Montréal
Contenu
Les administrateurs et dirigeants
La fin du monde tant annoncée par les fatalistes
à l'arrivée du nouveau millénaire a pris
un visage inattendu : le "bogue de l'an 2000". Selon les experts,
des milliers de systèmes informatiques risquent de ne
plus fonctionner au 1er janvier 2000. Des systèmes comptables,
des systèmes d'opération, de gestion, de traitement
ou de production, des équipements et des systèmes
de sécurité s'arrêteront ou seront déréglés.
La cause ? L'horloge de ces systèmes n'a pas été
programmée pour traiter une date comportant une année
à quatre chiffres. À l'époque, les programmeurs
ont en effet opté, pour des raisons de mémoire
informatique, de concevoir une horloge n'utilisant que les deux
derniers chiffres de l'année : 97, 98, 99... puis 2000
devient 0 et ainsi le temps pour ces systèmes n'est plus
linéaire mais circulaire ! Les experts et les gouvernements
mondiaux annoncent que le "bogue" entraînera des pertes
de milliards de dollars.
Nous avons pensé vous présenter les principaux
aspects juridiques et pratiques du problème.
Le "bogue de l'an 2000" risque d'entraîner son lot de poursuites judiciaires. Beaucoup tenteront de récupérer les pertes financières subies par les arrêts ou dérèglements de systèmes, ainsi que les coûts engendrés pour pallier les difficultés. Mais qui est juridiquement responsable de ces dommages ? Et sur quelle base ?
Au Québec, la responsabilité est déterminée par la loi (principalement le Code civil du Québec) et par les contrats entre les parties. À toutes fins pratiques, à moins d'exception, les différents contrats pouvant exister entre le fabricant du logiciel ou du système informatique, le fournisseur, le vendeur, le client-opérateur et le public-usager ne prévoient rien de précis quant aux difficultés de la nature de celle du "bogue de l'an 2000". Ceci oblige à s'en remettre à la loi qui prévoit essentiellement deux régimes juridiques pertinents : le régime de la responsabilité générale (soit de ne pas causer de tort à autrui par sa faute) et le régime des vices cachés.
La nature exacte du "bogue de l'an 2000" devra être
déterminée afin de voir lequel des régimes
s'appliquera. D'abord, l'appellation "bogue" est source de confusion
puisque selon le vocabulaire informatique, un "bogue" est véritablement
une erreur de programmation. Or, le"bogue de l'an 2000" ne résulte
pas, en général, d'une erreur de programmation
mais au contraire d'un choix délibéré de
programmation pour des raisons techniques. On ne peut dès
lors parler de vice caché et ce régime ne peut
donc trouver application, d'autant plus que la jurisprudence
majoritaire considère que la notion de vice caché
ne s'applique pas en matière de logiciel. D'une part,
parce que le logiciel ne fait pas l'objet d'une vente mais plutôt
d'une licence, et d'autre part, parce que les erreurs de programmation
sont normales dans l'industrie et doivent être tolérées
par l'usager, à moins de négligence grossière.
Reste le régime général de responsabilité,
dont le test consiste en somme à déterminer si
la personne a agi prudemment et diligemment dans les circonstances,
et sinon quels sont les dommages causés par sa faute.
Nous verrons les différentes situations susceptibles
d'être visées par ce régime.
Le fabricant est celui qui a conçu et développé
le logiciel ou le système, celui qui a délibérément
choisi de limiter la programmation de l'horloge informatique
à une année de deux chiffres. Est-il fautif ?
La réponse dépendra largement des circonstances.
Il faudra considérer l'âge du logiciel ou du système,
son espérance de vie, ses fonctions, les représentations
faites à l'époque, etc. On pourrait en effet difficilement
reprocher à un fabricant d'avoir mis sur le marché
il y a dix ans un logiciel qui ne tient pas compte de l'an 2000,
étant donné la caducité notoirement rapide
des logiciels, qui se remplacent aux deux ou trois ans. Par
contre, un logiciel lancé en 1999 et qui ne serait pas
compatible avec l'an 2000 serait source de responsabilité
pour son fabricant. Ce sont les cas limites qui seront les plus
difficiles à juger. En fait, il nous apparaît que
le "bogue de l'an 2000" sera, à prime abord, considéré
comme une limite de programmation acceptable, comme les autres
limites du logiciel. Il reviendra à l'usager de démontrer
qu'il avait des raisons particulières de s'attendre à
une programmation illimitée dans le temps.
La responsabilité des distributeurs et vendeurs de logiciels ou de systèmes sera à toutes fins pratiques régit par les mêmes règles que celles applicables au fabricant. Leurs représentations aux usagers sur les performances et capacités du logiciel, par exemple, revêtiront évidemment une importance primordiale.
La responsabilité du consultant sera une responsabilité d'ordre professionnel. À titre d'expert retenu par l'usager pour l'aider dans l'implantation d'un système ou l'achat d'un logiciel, il sera certainement réputé avoir connu les limites de programmation des systèmes et logiciels choisis et se verra reproché de ne pas en avoir informé ses clients dans les cas pertinents. Ainsi, on peut penser que l'expert qui a recommandé l'achat d'un système que l'entreprise prévoyait utiliser jusqu'en 2005, sera responsable envers son client des dommages causés par un arrêt ou dérèglement du système en l'an 2000, ainsi que des coûts de programmation pour prévenir ces dommages.
L'usager sera principalement la victime de ses troubles
mais pourra aussi se retrouver dans la position inconfortable
d'accusé. En effet, dans bien des cas, l'usager d'un
système ou d'un logiciel s'en sert à des fins
commerciales ou publiques, en vue d'offrir un service spécifique
à sa clientèle. Les institutions financières
en sont un bon exemple. Les défaillances des systèmes
qu'elles utilisent pour le traitement des transactions de leurs
clients pourraient causer des dommages importants à ces
clients et à des tiers. En pratique, si des mesures n'avaient
pas été prises, des chèques auraient pu
être retournés sans raison, des comptes gelés,
etc.
Dans de pareils cas, devant la large publicité qu'a eu
le "bogue de l'an 2000", les clients auraient d'excellents recours
contre les usagers à qui ils pourraient reprocher de
ne pas avoir pris à temps les mesures nécessaires
pour prévenir les défaillances.
En fait, il nous apparaît que la personne la plus exposée
aux poursuites judiciaires est l'usager de logiciels ou de systèmes
informatiques, offrant des services au public. Il est primordial
pour lui que des mesures soient prises pour assurer la transition
à l'an 2000 sans heurts.
Les administrateurs et dirigeants
L'ampleur des pertes annoncées fait craindre la faillite pour plusieurs sociétés. Il est alors courant de voir les réclamants diriger leurs recours contre les individus qui conduisaient les affaires de la société, soit à titre d'administrateurs ou de dirigeants. Ces recours pourraient avoir un certain sérieux dans la mesure où les difficultés associées au "bogue de l'an 2000" ont été largement diffusées. On pourrait en effet prétendre qu'il était dès lors mandataire que les administrateurs et dirigeants étudient la question et adoptent les moyens propres à prévenir toute éventualité, et qu'à défaut de l'avoir fait, leur responsabilité personnelle est engagée.
On voit donc que malgré l'ampleur des problèmes associés au "bogue de l'an 2000", les recours possibles sont limités et les personnes les plus exposées à ces recours sont les usagers intermédiaires ainsi que leurs administrateurs et dirigeants. Le succès de ces recours dépendra essentiellement des efforts déployés pour palier aux limites de programmation et prévenir les dommages aux clients. Ceux qui n'auront pas déployer ces efforts risquent de voir l'arrivée du nouvel an 2000 comme une date bien fatidique.
À jour au 21 mars 1999
Avis. L'information présentée ici est de nature générale et est mise à votre disposition sans garantie aucune notamment au niveau de son exactitude ou de sa caducité. Cette information ne doit pas être interprétée comme constituant des conseils juridiques. Si vous avez besoin de conseils juridiques particuliers, vous devriez consulter un avocat.
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