Par Francine Scott, avocate Membre du Barreau du Québec
Le décès fait-il en sorte de libérer la succession du défunt de ses obligations alimentaires envers ses enfants, son conjoint actuel, séparé ou divorcé ?
Vous êtes déjà noyé de chagrin par le décès d'un être cher et voilà que vous apprenez que vous êtes déshérité. Le défunt vous avait pourtant promis ou clairement laissé entendre que… Pire, peut-être vous deviez compter sur lui pour boucler vos fins de mois.
Le Code civil du Québec consacre la liberté absolue de tester de toute personne capable. Ceci étant, le testateur doit agir dans les limites prévues par la loi. Il est de plus redevable des obligations qu'il contracte et ne peut abuser ni enrichir sa succession au détriment d'autrui.
Ainsi, bien que déshérités en partie ou en totalité, les enfants, le conjoint survivant, marié, uni civilement ou conjoint de fait, les proches, les aidants, les époux séparés et divorcés, peuvent avoir des recours à exercer contre une succession lesquels sont souvent non exercés par ignorance.
Avant de conclure que l'on est déshérité, il est primordial de s'assurer que le testament concerné ou certains de ses legs soient bien valides ! Une consultation auprès d'un avocat ou notaire averti est un investissement qui peut s'avérer précieux.
1. Le décès fait-il en sorte de libérer la succession du défunt de ses obligations alimentaires envers ses enfants, son conjoint actuel, séparé ou divorcé?
Réponse : Non (Arts. 684 et ss C.c.Q.). Le défunt ne peut soustraire sa succession à ses obligations alimentaires. Les recours doivent être exercés dans les six (6) mois qui suivent le décès.
La réclamation alimentaire pour un enfant en bas âge peut être très importante, puisqu'elle couvrira ses besoins pour longue période. De même, celle du conjoint marié ou uni civilement, dont l'autonomie financière n'est pas envisageable et qui sera calculée sur une base viagère.
Dans un cas comme dans la l'autre, la loi impose un plafond à la contribution qui peut être accordée: elle ne peut excéder la différence entre la moitié de la part à laquelle il aurait pu prétendre si la succession avait été dévolue ab intestat (sans testament) et ce qu'il reçoit.
Par exemple, supposons que le défunt meurt, sans père et mère, avec un nouveau conjoint marié et laisse un fils d'un autre lit qu'il déshérite. Sa succession vaut 150,000 $. L'enfant déshérité pourra tout de même réclamer de la succession une pension alimentaire jusqu'à un maximum de 50,000$, soit la moitié du 2/3 qu'il aurait hérité si la succession du défunt avait été ab intestat. Si un legs particulier de 5,000 $ avait été prévu pour l'enfant, le maximum serait réduit à 45,000 $.
C'est donc dire que 50 % de la valeur d'une succession peut-être attribuée contre la volonté du testateur ! Pourtant, peu de recours sont exercés à ce chapitre devant les tribunaux.
Notons enfin que la réclamation alimentaire de l'ex-conjoint séparé ou divorcé se limitera à 12 mois et ceux des autres créanciers alimentaires à 6 mois, le tout jusqu'à un maximum de 10 % de la valeur de la succession.
D'autres modalités s'appliquent sur tous ces aspects.
2. Le testateur peut-il agir en tyran, obtenir des faveurs et des services sous les promesses d'un héritage et ne pas y donner suite?
La liberté de tester étant absolue, le testateur peut modifier en tout temps son testament, il n'est pas lié en tant que tel par ses promesses. Ceci étant, nul ne peut abuser d'autrui. La succession de celui qui a obtenu des services en promettant un héritage devra répondre des dommages et intérêts.
Dans l'affaire Hamel (Lépine) c. Morin (Succession de), 2008 QCCQ 3209 (CanLII), la Cour du Québec accorde en sus des dépenses encourues, une somme de 8,000 $ à titre de dommage moral, soit environ 20 % de la valeur de la succession, au fils qui a été floué par les fausses promesses d'héritage de sa mère au cours des 7 derniers mois de sa vie.
Aussi, celui qui a fourni des services en croyant qu'il serait récompensé par un héritage peut exercer un recours en enrichissement injustifié. Ce recours a été codifié par la réforme de 1994, à l'article 1493 C.c.Q. qui énonce :
"Celui qui s'enrichit aux dépens d'autrui doit, jusqu'à concurrence de son enrichissement, indemniser ce dernier de son appauvrissement corrélatif s'il n'existe aucune justification à l'enrichissement ou à l'appauvrissement."
Une illustration intéressante de ce principe est appliquée dans l'affaire Chayer c. St-Jean, 2004 CanLII 17333 (QC CS)- L'Honorable juge Borenstein accorde 30,000 $ à la nièce qui a déménagé et rendu de nombreux services à sa tante et son oncle qui l'ont pourtant déshéritée.
Dans une autre affaire, celui qui a vu au bien-être de son petit cousin, qu'il l'a assisté dans la gestion de ses biens et qu'il l'a conseillé dans l'administration de ses finances lorsque celui-ci est devenu incapable, se voit accorder 106,125 $ par la Cour. (Voir Beemer-Almond c. Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs, 2008 QCCA 763 CA 2008-04-22, où la Cour d'Appel casse la décision de première instance, Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs c. Hayes, 2006 QCCS 4697 (CanLII) CS 2006-07-28, qui avait rejeté le recours sur la question de la prescription).
Ces affaires demeurent troublantes sur le degré d'ingratitude démontrée par certaines personnes âgées.
3. Peut-il nier les droits prévus au patrimoine familial, à son régime matrimonial et à son contrat de mariage?
Réponse : Non. Le défunt ne peut léguer plus qu'il n'a. Les droits du conjoint dans le patrimoine familial, le régime matrimonial et le contrat de mariage sont exclus de la succession du défunt. S'il n'y a pas d'entente avec le conjoint et le liquidateur, c'est le Tribunal qui le détermine.
Par exemple, supposons que le défunt est seul propriétaire de la résidence d'une valeur nette de 350,000 $. Le conjoint peut ainsi réclamer 175,000 $ de la succession en vertu de ses droits dans le patrimoine familial et ce bien qu'il soit déshérité. En outre, puisqu'il s'agit de la résidence familiale, il peut exiger que la propriété de la résidence lui soit transférée quitte à payer le solde de sa valeur à la succession (art. 856 C.c.Q.).
Supposons cette fois, que la résidence appartient au conjoint. Cette fois, la succession pourra exercer une réclamation contre le conjoint pour la moitié de la valeur de la résidence.
Dans l'affaire Succession Choinière, 2006 QCCS 623, on a toutefois considéré valide la clause qui prévoyait que : " Les legs particuliers ci-dessus à mon épouse, (…), le sont à la condition qu'elle renonce à tous ses droits dans le patrimoine familial, ainsi qu'à toute donation que j'aurais pu lui consentir aux termes de notre contrat de mariage ci -dessus relaté et qui n'aurait pas encore été exécutée."
4. Peut-il léguer à certains des biens accumulés grâce à l'apport d'un autre au cours de toute une vie?
La liberté de tester est absolue, mais nul ne peut s'enrichir au détriment d'autrui, y compris le testateur.
Ainsi, si les biens du défunt ont été accumulés grâce à l'apport en biens ou en services d'un conjoint de fait, celui-ci pourra exercer avec succès un recours en enrichissement injustifié (Arts. 1493 ss C.c.Q.).
Lorsque le défunt meurt sans testament, contrairement au conjoint marié ou uni civilement, il n'y aucune dévolution prévue par la loi en faveur du conjoint de fait. Le recours en enrichissement injustifié prend alors toute son importance.
Voici quelques exemples jurisprudentiels récents :
Chaque situation est particulière et doit être analysée à son mérite.
Le 18 février 2011 la Cour Suprême a rendu un arrêt clé en matière du calcul de l'indemnité de l'enrichissement injustifié dans l'affaire Kerr c. Baranow et Vanasse c. Séguin, 2011 CSC 10, [2011] 1 RCS 269. Bien qu'il s'agisse d'une cause de l'Ontario et de la Colombie Britannique, cette décision fait écho au Québec. La Cour apporte une approche globale et souple au calcul de l'indemnité à être versée à un conjoint de fait. Il n'est plus question d'indemniser le temps consacré aux enfants et aux besoins de la famille à la hauteur d'une rémunération de gouvernante ! Une compensation de 2 millions de dollars est accordée à une conjointe de fait pour son dévouement aux enfants et au foyer pendant 3 ½ ans des 12 ans de vie commune.
5. Peut-iI léguer ses biens à l'infirmière de qui il s'est entiché au cours des derniers mois de sa vie?
Si l'infirmière travaillait à l'établissement de santé où le testateur recevait des soins, le testament en sa faveur est nul - (Art. 761 C.c.Q).
Si le testament résulte d'une captation, il pourra également être déclaré nul. La captation consiste en des manœuvres répréhensibles et des influences indues pour amener une personne à lui consentir des libéralités.
Les tribunaux tiennent compte de l'âge du testateur, sa santé, sa vulnérabilité, son contexte familial et social, le caractère raisonnable ou non des dispositions testamentaires attaquées.
Une série de facteurs dont la promesse invraisemblable en mariage d'un nouvel ami de près de 40 ans son cadet, ont amené le tribunal à annuler le testament dans l'affaire De la succession Gamble, 2010 QCCS 4171 (CanLII).
Enfin, le testament pourrait s'avérer nul s'il résulte de l'insanité du testateur. La captation et la capacité à tester sont deux notions distinctes.
Francine Scott, est praticienne en droit de la famille depuis 1981; Contact à : francinescott@videotron.ca - Tél. (450) 923-7922
À jour au 20 février 2023
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